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Entretiens avec Picasso (extraits)

Pablo Picasso

Propos recueillis par Tériade, « En causant avec Picasso »


« Les tableaux, on les fait toujours comme les princes font leurs enfants : avec des bergères. On ne fait jamais le portrait du Parthénon ; on ne peint jamais un fauteuil Louis XV. On fait des tableaux avec une bicoque du Midi, avec un paquet de tabac, avec une vieille chaise […]. 
Quand on part d’un portrait et qu’on cherche par des éliminations successives à trouver la forme pure, le volume net et sans accident, on aboutit fatalement à l’œuf. De même, en partant de l’œuf on peut arriver, en suivant le chemin et le but opposés, au portrait. Mais l’art, je crois, échappe à cet acheminement trop simpliste qui consiste à aller d’un extrême à l’autre. Il faut pouvoir s’arrêter à temps.
Tout l’intérêt de l’art se trouve dans le commencement. Après le commencement, c’est déjà la fin.
Quelqu’un me demandait comment j’allais arranger mon exposition. Je lui ai répondu : « Mal ». Car une exposition, comme un tableau, bien ou mal « arrangée », cela revient au même. Ce qui compte, c’est l’esprit de suite dans les idées. Et quand cet esprit existe, comme dans les plus mauvais ménages, tout finit par s’arranger. 
Rien ne peut être fait sans la solitude. Je me suis créé une solitude que personne ne soupçonne. Il est très difficile aujourd’hui d’être seul, car nous avons des montres. Avez-vous vu un saint avec une montre ? J’ai pourtant cherché partout pour en trouver un, même chez les saints qui passent pour les patrons des horlogers. »

 

Première publication dans L’Intransigeant, 15 juin 1932

Repris dans Pablo Picasso, Propos sur l’art, Paris, éditions Gallimard, 1998

 


Daniel-Henry Kahnweiler, « Huit entretiens avec Picasso »

 

Le 2 décembre 1933
« Les Demoiselles d’Avignon, ce que ce nom peut m’agacer ! C’est Salmon qui l’a inventé. Vous savez bien que ça s’appelait Le Bordel d’Avignon au début. Vous savez pourquoi ? Avignon a toujours été pour moi un nom que je connaissais, un nom lié à ma vie. J’habitais à deux pas de la Calle d’Avignon. C’est là que j’achetais mon papier, mes couleurs d’aquarelle. Puis, comme vous le savez, la grand-mère de Max était originaire d’Avignon. Nous disions un tas de blagues à propos de ce tableau. L’une des femmes était la grand-mère de Max. L’autre Fernande, une autre Marie Laurencin, toutes dans un bordel d’Avignon. 
Il devait y avoir aussi — d’après ma première idée — des hommes, vous avez d’ailleurs vu les dessins. Il y avait un étudiant qui tenait un crâne. Un marin aussi. Les femmes étaient en train de manger, d’où le panier de fruits qui est resté. Puis, ça a changé, et c’est devenu ce que c’est maintenant. »


Le 13 février 1934
« Dire que je n’ai jamais pu faire un tableau ! Je commence dans une idée, et puis, ça devient tout autre chose. Qu’est-ce au fond qu’un peintre ? C’est un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux qu’il aime chez les autres. C’est comme ça que je commence et puis, ça devient autre chose. »


Le 6 février 1934
« Imaginez-vous que j’ai fait un portrait de Rembrandt. C’est encore cette histoire de vernis qui saute. J’avais une planche à qui cet accident est arrivé. Je me suis dit : elle est abîmée, je vais faire n’importe quoi dessus. J’ai commencé à griffonner. C’est devenu Rembrandt. Ça a commencé à me plaire et je l’ai continué. »

 

Première publication dans Le Point, Mulhouse, octobre 1952

in Daniel-Henry Kahnweiler, Huit entretiens avec Picasso, Paris, éditions l'échoppe, 1990