
Focus sur… « Veni Vidi Vici » de Marwan Rechmaoui
Né en 1964 à Beyrouth (Liban), où il vit et travaille, Marwan Rechmaoui fait ses études de peinture et de sculpture à Boston et New York, entre 1987 et 1993. Son œuvre pluridisciplinaire est étroitement liée à l’intérêt que les artistes libanais de sa génération portent à l’archivage et à la documentation de l’histoire contemporaine de leur pays après la guerre civile libanaise (1975–1990).
Présentée au sein de l’exposition « Quête d’infinis » dans l’écrin de l’abbaye de Saint-Germain, à Auxerre, son œuvre Veni Vidi Vici s’inscrit pleinement dans cette dynamique : comprendre notre histoire passée, actuelle et future. La sculpture consiste en un amas pyramidal de neuf cent quatre-vingt-douze cubes de marbre blanc, dont vingt-six sont gravés avec des noms de conquérants et d’hommes politiques qui ont marqué leur passage sur la côte est méditerranéenne, depuis le pharaon Ramsès II, plus d'un millénaire avant notre ère, jusqu’au président Émile Lahoud en 2000, en passant par Napoléon Bonaparte. Ces inscriptions renvoient notamment aux stèles commémoratives du site archéologique spectaculaire de Nahr el-Kalb, situé à quinze kilomètres au nord de Beyrouth.
Né d’expérimentations avec des matériaux issus de l’environnement urbain tels que le béton, le marbre, le plastique et le caoutchouc, l'œuvre de Marwan Rechmaoui découle de longs processus de recherche au cours desquels il explore la carte du Liban et l’utilise comme un outil de déconstruction des significations.
Le promontoire de Nahr el-Kalb est un lieu de mémoire unique qui conserve sur ses massifs rocheux des témoins épigraphiques et iconographiques avec les noms, les titres et parfois les effigies de souverains différents : Égyptiens, Assyriens, Néo-Babyloniens, Grecs, Romains et Mamelouks. Cette tradition a persisté jusqu’aux 19e et 20e siècles où des inscriptions témoignant des événements de l’histoire contemporaine du Liban et de la région ont été placées à côté des reliefs de l’Antiquité, mémoires des occupations et des invasions perpétuelles.
Le cap de Nahr el-Kalb, considéré depuis l’Antiquité comme un obstacle naturel sur la côte libanaise, constitue ainsi un point stratégique. La difficulté du passage expliquera la présence des premiers reliefs sculptés par les premiers conquérants en l’honneur de leur gloire et afin d’assurer leur légitimité du pouvoir. « Pour les armées de l’Antiquité, c’était un point géostratégique qui reliait l’Afrique, l’Europe et l’Asie par la mer, explique l’artiste. Si les gens devaient aller de l’Égypte ancienne à la Babylonie, si les croisés voulaient aller d’Europe à Jérusalem, ils passaient tous par ce passage. »
Les cubes blancs dans la sculpture de Rechmaoui renvoient aussi bien aux conquêtes non inscrites sur la roche qu’à celles à venir.
La répétition de ces passages traduit l’importance stratégique du territoire à travers l’histoire et jusqu’à nos jours. Les cubes blancs dans la sculpture de Rechmaoui renvoient aussi bien aux conquêtes non inscrites sur la roche qu’à celles à venir. Le titre de l’œuvre est emprunté à la fameuse citation de Jules César, en 47 avant J.-C., que l’on peut traduire par : « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. » ◼
À lire aussi
Dans l'agenda
© Marwan Rechmaoui
Photo © Centre Pompidou / Dist. GrandPalaisRmn