Melik Ohanian, « Under Shadows »

Lauréat du prix Marcel Duchamp 2015, Melik Ohanian est l’invité du Centre Pompidou, avec le soutien de l’Adiaf, pour « Under Shadows », une exposition au cœur du Musée. L’artiste fait une proposition inédite autour d’un scénario cosmique entre poésie et science. Entretien.

Christine Macel - Tu es un passionné de sciences. Comment cette culture savante irrigue-t-elle ton œuvre ?
Melik Ohanian - Plutôt que de passion, je parlerais d’un intérêt dans mon travail pour certaines sciences, comme je m’intéresse par ailleurs à la politique, à l’histoire, à la philosophie ou au social. Sans être un spécialiste d’aucun de ces sujets, je les approche comme objets, comme méthodes permettant d’évaluer, de comprendre, d’appréhender notre monde et notre rapport au monde. Dans mon travail, la science est souvent en arrière-plan. Les œuvres portent en elles un caractère scientifique, mais elles ne sont pas des objets scientifiques : elles ne révèlent aucune vérité, au mieux elles s’en inspirent. J’ai toujours été curieux des sujets ou des questionnements qui ont à voir avec l’astrophysique et le cosmos. J’en conserve une approche intuitive, plus sensible qu’intelligible.

CM - Comment vas-tu inclure ce savoir et ces méthodes dans ton intervention ?
MO - Je conçois cette exposition comme un contexte. Créer un contexte, c’est créer un ensemble, ou rassembler un ensemble de conditions pour qu’advienne quelque chose. Dans ce contexte, je considère les œuvres comme des « dimensions », propres à notre monde, des dimensions à croiser, à superposer, ou à soustraire parfois. Par la coexistence des éléments présents dans l espace d’exposition, il s’agit d’inviter le visiteur à un « état de conscience », à une sensibilisation, au travers des représentations que j’aime qualifier de représentations réflexives.

CM - Peux-tu nous décrire l’œuvre centrale de ce « contexte » ?
MO - Modelling Poetry se base sur une spéculation scientifique annoncée par la Nasa en 2012, qui prévoit une collision de la Voie lactée – dans laquelle la Terre est incluse – avec la galaxie d Andromède, dans quatre milliards d’années. J’ai cherché une manière de pouvoir représenter cette collision, de tenter la représentation d’un événement à une échelle qui nous dépasse. Le principe a été de s’inspirer du comportement réel des corps célestes et de leurs interactions, et d affecter ces comportements aux pixels qui composent une image. Ce qui équivaut conceptuellement à produire une image « à l’image de » quelque chose. Un ordinateur procède donc en temps réel à la lecture d’un algorithme qui produit cette image. Celle-ci est aussi pour moi une allégorie du processus vivant.

Propos recueillis par Christine Macel, conservatrice en chef, Musée national d’art moderne, commissaire de l’exposition

Code Couleur, n°25, mai-août 2016, p. 22