Cinéma / Vidéo
Laila Pakalnina, drôle de réel
3 - 17 mai 2019
L'événement est terminé
« Si le cinéma n’existait pas, je serais devenue marchande de glace (le premier métier dont j’ai rêvé). Mais le cinéma, c’est mieux que les glaces ! » On peut d'abord se féliciter du choix de carrière de Laila Pakalnina, mais aussi tenter de définir son art à partir de son propos farceur. Même si son apparence peut paraître un peu froide (une rigueur presque mathématique du cadrage et du montage), son cinéma est à l'image de cette citation : plein d'humour, dégageant une joie communicative d'en faire. Puis, goûter à ses films procure, comme une crème glacée, bien des plaisirs ; les goûts et les textures variés occasionnent le sourire, un engourdissement plaisant, invitent à un moment suspendu.
Née en 1962 à Liepaja en Lettonie, diplômée du VGIK, la prestigieuse école moscovite, en 1991, Laila Pakalnina appartient à la génération dite « de la transition », en compagnie notamment de Sharunas Bartas, Sergueï Dvortsevoy, Sergueï Loznitsa ou Audrius Stonys. Si ses films sont montrés en Europe et ailleurs depuis longtemps, ça n’a été que très peu le cas en France jusqu'ici (1) ; ce cycle est donc une invitation à découvrir plus largement l'œuvre documentaire d'une réalisatrice de premier ordre, dans un panorama de 20 films répartis dans 7 séances.
Les mots de la cinéaste sur sa première vocation de marchande de glace nous ramènent aussi au jeu et à l’enfance, qui est aussi celle du cinéma. Pas tout à fait son âge primitif, mais son deuxième âge, celui qui a fait se rencontrer les images et les sons. Bien souvent non parlant ni discursif, on pourrait, pour définir le cinéma de Laila Pakalnina, reprendre la formule de « cinéma muet sonore » caractérisant Jacques Tati, où les mots n'ont d'autre sens que d'être des bruits comme les autres tout en étant essentiels à la narration. Autre parenté avec l'auteur de Playtime, les films de Pakalnina reposent sur des fondements burlesques : comment les corps habitent le monde, cohabitent avec l'altérité (sa propre espèce mais aussi les autres), traversent et affrontent les espaces, usent des objets? Ils le font avec singularité et inventivité mais, évidemment, pas sans ratés ni gadins.
Laila Pakalnina pratique le cinéma en formaliste, mais sans rien de sévère ou d’abscons. C'est au contraire un art accueillant, malicieux et ludique, où la réalité observée est comme contaminée par l'absurde, l'onirisme, le surréalisme. Les compositions sonores créent un écart rêveur et poétique ; le montage est d’une grande inventivité, coupes et raccords procurent une formidable énergie rythmique. Ce réel qu'elle traite et révèle comme une scène burlesque émane de quelque chose de mystérieux, secret et précieux : le regard. Celui de Laila Pakalnina est d'une exceptionnelle qualité, tranchant, sachant adopter le pas de côté, le décentrement, le point de vue oblique sur les choses. Dans un espace, un corps, une situation, un déplacement, elle perçoit ce que d’autres ne verraient pas. Si son cinéma parle peu, discourt encore moins, il dit beaucoup. Le sens advient sous la forme d'éclats, faisant par exemple surgir les questions historiques, politiques, sociétales brûlantes de cette petite république, qui fut comme ses voisines sous le joug russo-soviétique. Mais à partir de son confins balte, de film en film, elle compose avant tout une fresque universelle, drôle et profonde de la condition humaine et, plus largement, du monde vivant.
Arnaud Hée
(1) Au Festival international de films de femmes de Créteil, au Festival Cinéma du réel ; notons aussi que l'une de ses fictions, The Shoe, fut sélectionnée au festival de Cannes dans la section Un certain regard en 1998.
Où
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Quand
3 - 17 mai 2019
tous les jours sauf mardis