St.Germain b. Tunis. Landeinwärts (St. Germain près de Tunis (A l'inté…
1914
St.Germain b. Tunis. Landeinwärts
(St. Germain près de Tunis (A l'intérieur des terres))
1914
Domaine | Dessin |
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Technique | Aquarelle sur papier collé sur carton |
Dimensions | 21,8 x 31,5 cm |
Acquisition | Legs de Nina Kandinsky, 1981 |
N° d'inventaire | AM 81-65-876 |
Informations détaillées
Artiste |
Paul Klee
(1879, Suisse - 1940, Suisse) |
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Titre principal | St.Germain b. Tunis. Landeinwärts (St. Germain près de Tunis (A l'intérieur des terres)) |
Date de création | 1914 |
Domaine | Dessin |
Technique | Aquarelle sur papier collé sur carton |
Dimensions | 21,8 x 31,5 cm |
Inscriptions | Signé en haut à droite : Klee. Daté, numéroté et titré en bas : 1914/217 St. Germain b. Tunis (landeinwärts) |
Acquisition | Legs de Nina Kandinsky, 1981 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 81-65-876 |
Analyse
Dans ces années où Klee critique les formulations du cubisme – à ses yeux trop radicales et abstraites –, l’expérience, en 1914-1915, de la découverte physique, sensitive, de la nature, d’un contact direct avec elle, est déterminante : au printemps 1914, à la veille de la Grande Guerre, il part avec August Macke et le comte suisse Louis Moilliet à Tunis, où ils s’installent dans la maison du docteur Jaeggi à Saint-Germain. C’est un voyage crucial, marqué par une intense révélation : pendant les deux semaines de son séjour, Klee s’éloigne progressivement d’une transposition de la vision du monde extérieur pour se livrer à une pure expression chromatique. À la fin du voyage, il résume dans son journal, non sans émotion : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. » Dans la petite aquarelle St. Germain b. Tunis. Landeinwärts (Helfenstein/Rümeli, nº 1320), réalisée, selon Wolfgang Kersten, devant le motif, dans les environs de Tunis (et non de mémoire, à son retour à Munich), Klee transpose ses expériences visuelles d’un paysage incandescent sous la lumière et la chaleur en une structure orthogonale composée de champs colorés. Si le monde réel est encore là, il est réduit à quelques abréviations graphiques qui scandent la composition – évocations d’un arbuste, d’un monticule ou d’une habitation. C’est la vibration lumineuse, rythmique, de l’espace que Klee cherche à restituer par des contrastes simultanés de couleurs (une alternance de bleu-vert et de rouges orangés ou violacés, de noirs et de blancs) qui forment un tapis de plans carrés juxtaposés, un réseau en damier, qui est une anticipation des « carrés magiques » des années 1920. Et le choix particulier de l’aquarelle par l’artiste, qui se découvre « peintre » – une aquarelle ici légère et transparente, là plus épaisse, et déposée hâtivement sur le papier – semble répondre à son désir de transposer le tremblement optique, fractionné, de sa vision. L’importance du mouvement rythmé est telle qu’il intègre dans sa composition chromatique certaines des réserves blanches (à droite, il les a couvertes de peinture) produites par les élastiques à l’aide desquels il a l’habitude de fixer ses feuilles sur le support, et qui forment des bandes verticales, comme un châssis de fenêtre encadrant sa composition : au lieu de les couper, comme il le fait souvent pour d’autres dessins, il les exploite pour renforcer encore la qualité constructive et abstraite de l’œuvre.
Par les contrastes simultanés de couleurs, Klee semble regarder l’Afrique du Nord à travers le prisme optique de Robert Delaunay. Il a rencontré le peintre des Fenêtres (1912-1913), à Paris en avril 1912, et aussitôt traduit en allemand l’essai Sur la lumière – publié par la revue berlinoise Der Sturm en 1913 pour accompagner la première exposition de l’artiste français en Allemagne, à Berlin dans la galerie du même nom.
Dans une série d’aquarelles de 1915, Klee tente encore de transposer l’idiome de la construction cubiste au rythme vital du monde végétal. Sa recherche constitue une réponse aux critiques, apparues dans les colonnes de la revue Der Sturm, dont il est proche, envers un cubisme perçu comme trop statique. Le théoricien de l’art expressionniste Adolf Behne y publie en septembre 1915 un essai intitulé « Biologie und Kubismus », dans lequel il assimile l’œuvre d’art à un organisme biologique. Klee dira plus tard que la seule image de la nature qui lui importait alors était celle « de la création comme genèse ». L’impression d’une croissance végétale de formes est particulièrement forte dans l’aquarelle Pflanzenartig im Sinne von 143 (Helfenstein/Rümelin, nº 1508), une des plus abstraites de ce groupe d’aquarelles consacrées aux motifs de plantes, et dont le titre évoque explicitement l’idée d’une analogie avec le monde végétal. Toutes les architectures de parallélogrammes étroitement emboîtés semblent pousser vers le haut en s’enroulant autour d’une barre verticale, comme des feuilles autour d’une tige. Chez Klee, le travail du matériau est toujours de la première importance : ce mouvement rotatif est, pour l’essentiel, donné par les forts contrastes de lumière et d’ombre de l’aquarelle monochrome ; Klee « bâtit » ici, plan d’aquarelle après plan d’aquarelle, le rythme même de la végétation. Dans son journal, il note en 1915 : « Hormis une composition constructive (Konstructive Bildgestaltung), j’ai étudié la tonalité de la nature en superposant couche sur couche de peinture d’aquarelle noire. Chaque couche doit bien sécher. Ainsi apparaît une proportion clairobscur mathématique. » L’œuvre majeure de la série, Pflanzenstadt (« La Ville de plantes », 1915), révèle à quel point, à cette date, formation organique et construction architectonique se confondent nécessairement dans son œuvre.
Angela Lampe
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008