Livre, bouteille et verre
[1913]

Livre, bouteille et verre
[1913]
Domaine | Dessin | Papier collé |
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Technique | Fusain, gouache, crayon de couleur et papiers collés sur papier |
Dimensions | 47,5 x 31,7 cm |
Acquisition | Dation, 2005 |
N° d'inventaire | AM 2005-100 |
Informations détaillées
Artiste |
Juan Gris (Jose Victoriano Gonzales Perez, dit)
(1887, Espagne - 1927, France) |
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Titre principal | Livre, bouteille et verre |
Date de création | [1913] |
Domaine | Dessin | Papier collé |
Technique | Fusain, gouache, crayon de couleur et papiers collés sur papier |
Dimensions | 47,5 x 31,7 cm |
Inscriptions | Dédicacé et signé au revers : A Pablo Picasso, très amicalement / son admirateur, Juan Gris. Non daté |
Acquisition | Dation, 2005 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 2005-100 |
Analyse
Gris pratique le collage – insertion d’un fragment de réalité brute, morceau de miroir ou gravure découpée, dans l’espace du tableau – depuis 1912. Mais il n’utilise le procédé du papier collé qu’à partir de 1913. Et cela selon des modalités très personnelles, qui différencient ses œuvres sur papier de celles de Braque ou de Picasso.
Livre, bouteille et verre (1913, P. E. Leal, no 186), entré dans les collections du Musée depuis peu, fait partie d’une série au statut ambigu : entre papiers collés et dessins simplement rehaussés aux crayons de couleur, ces premiers exercices ont un caractère à la fois modeste et radical. Aucune improvisation dans ces arrangements prémédités : l’espace y est découpé en longues lanières verticales (comme dans la Guitare, mai 1913, du Musée, qui est d’ailleurs une huile et papier collé sur toile), dans lesquelles sont enfermés les poncifs familiers des natures mortes cubistes – bouteilles et verres, livres et journaux, dessinés avec soin, parfois lestés de rares aplats de gouache noire. Quatre dessins de la série figuraient dans la rétrospective organisée à Madrid en 1991 (nos 122 à 125). La feuille du Musée comporte seulement deux éléments collés, deux fragments d’un texte imprimé, incluant une illustration – une nature morte, justement. Ils sont méticuleusement disposés de façon à figurer la double page d’un livre ouvert, traversant en oblique (et passant derrière) les longues bandes décrites plus haut. La « page » est rehaussée de blanc, pour mieux la distinguer, sans doute, du reste de l’espace. À droite, une bouteille dessinée cale la composition, telle une colonne exagérément mince. La rigueur et la subtilité du tissage de ce peu d’éléments, la dignité un peu sèche de ce grand dessin (offert par Gris à son maître et compatriote Picasso avec une dédicace fervente, puis vraisemblablement restitué par ce dernier à la succession de Gris) forcent l’admiration.
Ainsi, contrairement à Braque, qui prévoit dans sa composition dessinée l’emplacement du morceau de papier faux bois ou du galon de tapisserie, Gris met premièrement en place les formes découpées dans les différents matériaux, selon les lois d’une « architecture dessinée », couvrant pratiquement la surface entière du support ; ensuite seulement, il qualifie et spécifie les objets par le dessin, les ombres, les pointillés. Dans Verre et damier, qu’on peut voir au premier abord comme un ajustement de formes géométriques, le petit rectangle rouge sombre est finalement qualifié comme vin dans un verre, le papier faux bois se perçoit ici comme table, là comme échiquier (à l’aide de quelques cases pointillées), le papier de tapisserie à fleurs comme tenture, suggérant l’espace d’une chambre, etc. Douglas Cooper le soulignait : « Les éléments en papier dans les papiers collés de Gris sont donc porteurs de trois significations différentes : leur existence propre, leur valeur en tant que couleur ou ornement, et leur valeur picturale résultant de leur modification. » Constituant certainement l’un des principaux apports de Gris à l’histoire du cubisme, ses papiers collés jouent en même temps un rôle essentiel dans sa propre évolution vers la clarification – en fait, vers « l’abstraction ».
Verre et paquet de tabac (D. Cooper no 114) a été exécuté pendant l’été 1914, au moment même où un premier cubisme s’abîmait dans la dispersion due à la guerre. Ce très petit papier collé pourrait en constituer le blason, ne serait-ce que par le choix du motif – le verre à pied et le paquet de tabac emblématiques. Gris y ajoute cette touche de somptuosité décorative qui signe ses meilleures compositions. Il les place sur un soubassement de faux marbre, combiné à un papier imitant le cannage : guéridon et chaise de rotin, décor habituel des cafés, sont ainsi évoqués en deux découpures magistralement concises. Le verre et le paquet de tabac sont déconstruits et reconstruits dans un même mouvement, le paquet plié et désarticulé, le verre aplati et regonflé par un jeu d’ombres.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Bibliographie
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La femme qui lit. Culture Chanel : Venise, Ca'' Pesaro, Galerie Internationale d''Art Moderne, 17 septembre 2016-8 janvier 2017.- Paris : Editions de la Martinière, 2017 (reprod. coul. p. 135, cit. p. 171) . N° isbn 978-2-7324-8414-3
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