Portrait de Marie Laurencin
[1916 - 1917]

Portrait de Marie Laurencin
[1916 - 1917]
Domaine | Dessin |
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Technique | Encre, mine graphite et aquarelle sur carton |
Dimensions | 56 x 46 cm |
Acquisition | Don de M. Juan Alvarez de Toledo, 1990 |
N° d'inventaire | AM 1990-258 |
Informations détaillées
Artiste |
Francis Picabia (Francis Martinez de Picabia, dit)
(1879, France - 1953, France) |
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Titre principal | Portrait de Marie Laurencin |
Date de création | [1916 - 1917] |
Lieu de réalisation | oeuvre réalisée à Barcelone |
Domaine | Dessin |
Technique | Encre, mine graphite et aquarelle sur carton |
Dimensions | 56 x 46 cm |
Inscriptions | Signé en bas à gauche : FRANCIS PICABIA. Titré en haut à gauche : PORTRAIT DE MARIE LAURENCIN / FOUR IN HAND. Inscriptions : A L'OMBRE D'UN BOCHE / LE FIDELE COCO / IL N'EST PAS DONNE A TOUT LE MONDE D'ALLER A BARCELONE / A MI-VOIX. Non daté |
Acquisition | Don de M. Juan Alvarez de Toledo, 1990 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1990-258 |
Analyse
Généreuse tache d’encre noire projetée sur une feuille de papier gris depuis une grande hauteur, comme l’indique la multitude d’éclaboussures que traversent quatre inquiétantes coulures, La Sainte Vierge a été publiée dans le numéro 12 de 391 (la fameuse revue Dada fondée par Picabia en 1917) paru à Paris en mars 1920. Pour la publication, l’œuvre a été légèrement recadrée et reproduite à l’envers, afin d’inverser le sens des coulures, qui se dirigent vers la gauche sur l’œuvre originale, vers la droite dans la version imprimée. Avant d’opter pour ce renversement, Picabia avait inscrit à l’encre bleu-violet le titre de l’œuvre et sa signature, qui font, comme toujours chez lui à cette date, partie intégrante de l’œuvre : ce sont eux qui confèrent à cette tache cette « intention strictement blasphématoire tant pour l’art que pour le symbole religieux » que relevait Gabrielle Buffet-Picabia en 1956.
Largement aléatoire dans sa conception, même si l’on connaît une autre version, différente, qui resta inédite jusqu’en 1960 (Paris, bljd), La Sainte Vierge remet en question de façon radicale le rôle de l’artiste dans la création, tout en questionnant le statut même du dessin, quand la main n’est plus sollicitée. Pour Louis Aragon, qui l’évoque dans La Peinture au défi, en 1930, La Sainte Vierge compte parmi les « étapes significatives du procès de la personnalité » instruit par les dadaïstes, et constitue « une critique essentielle de la peinture de son invention à nos jours ». La dimension puissamment transgressive de cette feuille au regard de l’histoire de l’art est encore soulignée par sa publication en avril 1920 dans la revue Les Hommes du jour en vis-à-vis de La Vierge à l’hostie d’Ingres, à un moment où la référence ingresque est revendiquée par les partisans du « retour à l’ordre ».
Du point de vue religieux, l’œuvre fonctionne par antiphrase, prenant le contrepied littéral du dogme sacro-saint de l’Immaculée Conception : nombre de commentateurs n’ont pas manqué de retenir la charge sexuelle de l’image, comparant la tache à celle provoquée sur le drap nuptial par la défloration virginale ou même par la projection du liquide séminal. On reconnaît là une thématique chère à Picabia comme à son ami Marcel Duchamp, et bientôt aux surréalistes : elle sera reprise par Salvador Dalí dans son non moins blasphématoire Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère de 1929 (MNAM), ainsi que dans ses illustrations pour L’Immaculée Conception d’André Breton et de Paul Eluard, publié en 1930. La Sainte Vierge constitue, enfin, une manifestation majeure de cette fascination que la tache, au moins depuis Léonard de Vinci, a toujours exercé sur les artistes, et ce, au moment même où le psychiatre suisse Hermann Rorschach mettait au point le célèbre test, publié en 1921, auquel il a laissé son nom.
Arnauld Pierre,
Christian Briend
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008