Linear Construction in Space n° 4 (Construction linéaire dans l'espace…

Le lancement du Manifeste réaliste lors de l’exposition constructiviste présentée en plein air sur le boulevard Tverskoï à Moscou, le 5 août 1920, fut l’occasion pour les frères Naum Gabo et Antoine Pevsner d’affirmer leurs postulats théoriques et politiques, fondés sur « une perception du monde en forme d’espace et de temps », engendrant une sculpture libérée du volume et dynamique : « La profondeur et la transparence sont plus aptes que le volume pour donner l’idée de l’espace » (cité in Qu’est-ce que la sculpture moderne ? , cat. exp., Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, 3 juillet-13 octobre 1986, p. 365). À partir de cette époque, les deux artistes vivent des expériences différentes tout en restant fidèles à leurs convictions esthétiques mettant l’espace et le temps au cœur de la sculpture, construite et non modelée. La masse et les formes pleines disparaissent au profit de la transparence et de la légèreté, grâce à des matériaux inédits – le plastique, le Celluloïd, le Perspex et le métal – formant des cercles, des sphères et des spirales, d’inspiration cosmique.

La recherche d’une sculpture abstraite, « spatialement ouverte », amène Gabo, déjà engagé depuis 1915 dans la réalisation de sculptures stéréométriques, dans la lignée des constructions cubistes, à renforcer le caractère cinétique et transparent de ses sculptures. Construction linéaire dans l’espace n o 4 (cat. rais. n° 68.13), réalisée aux États-Unis où l’artiste russe s’est installé en 1946, s’inscrit dans le cadre des maquettes conçues pour des œuvres monumentales, commandées à la fin des années 1940 et au début des années 1950 pour le Esso Building du Rockefeller Center à New York, ou pour le Baltimore Museum of Art. Simplement suggéré dans Construction linéaire dans l’espace n o 2 (1949-1953, Musée de Grenoble), le mouvement de torsion est accentué dans Construction linéaire dans l’espace n o 4 par des lignes sinueuses que Gabo appelle « des forces statiques » : « La ligne n’est qu’une trace accidentelle que l’homme laisse sur les objets […] ; nous n’affirmons la ligne que comme direction de forces statiques cachées dans les objets » (Petit journal de l’exposition Naum Gabo , Paris, 1971-1972, op. cit.). Les ressorts en acier inoxydable, que l’artiste utilise dans sa réplique de 1970 de la sculpture originale de 1955, remplacent les fils de nylon translucides, tendus sur des baguettes de Perspex des premières œuvres, victimes du vieillissement rapide des matériaux plastiques, et restituent la transparence qui donne aux formes leur éclat irisé.

Doïna Lemny

Source :
Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007