Personnage
[1934]
Personnage
[1934]
Domaine | Dessin |
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Technique | Pastel sur papier velours |
Dimensions | 106,3 x 70,5 cm |
Acquisition | Achat, 1984 |
N° d'inventaire | AM 1984-260 |
Informations détaillées
Artiste |
Joan Miró
(1893, Espagne - 1983, Espagne) |
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Titre principal | Personnage |
Date de création | [1934] |
Domaine | Dessin |
Technique | Pastel sur papier velours |
Dimensions | 106,3 x 70,5 cm |
Inscriptions | Signé en bas à gauche : Miró. Non daté |
Acquisition | Achat, 1984 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1984-260 |
Analyse
Depuis la fin des années 1920, Miró ne cesse de mettre à l’épreuve ses certitudes plastiques, son assurance graphique, par le contact de nouvelles matières et de nouveaux supports – souvent trouvés dans la réalité la plus ingrate –, qui lui permettent de pousser toujours plus loin ses expérimentations. Là encore, l’exigence tactile est à l’œuvre : en 1929, il utilise le papier goudron, dont la matière épaisse, ingrate, appelle des découpes maladroites, brutales ; en 1929, il exploite le papier de verre, à la texture lumineuse, granulée, pour affirmer ses formes, assurer la ligne-arabesque. En 1934, alors qu’il passe l’été dans sa ferme catalane de Montroig, il choisit au contraire le papier velours, plucheux, dont la douceur autorise tous les excès graphiques et un travail de modulation au crayon pastel, pour exprimer, paradoxalement, les angoisses qui l’assaillent : la violence populaire s’annonce, et bientôt, la barbarie fasciste. Contemporaine de la série des « Tauromachies » de Picasso, qui actent autrement l’affrontement meurtrier de la bête et de l’homme, la série des quinze grands « Pastels sur papier velours », dont fait partie cet ubuesque Personnage , est le lieu d’apparition de pantins grotesques, monstres mi-humains mi-animaux, créatures chtoniennes ou lunaires aux membres hypertrophiés, fortement sexués, en proie à la violence ou à la terreur. Finis les précédents aplats de couleurs, les arabesques élégantes : le modelé lourd des formes, le clair-obscur violent, les tonalités grinçantes, stridentes, créent une atmosphère trouble, inquiétante, quasi spectrale. Ces apparitions, qui annoncent celles des sombres « peintures sauvages » de l’année 1935, conjurent un cauchemar, dont l’atmosphère ouatée, étouffante, traduit l’attente d’une menace encore souterraine.
À l’été 1936 éclate la guerre civile espagnole, dont le drame marque la production de Miró. Celui-ci prend fait et cause, avec Picasso, pour la résistance populaire : dans le Pavillon de l’Espagne républicaine, à l’Exposition universelle de Paris, en 1937, figureront côte à côte le charnier noir et blanc de Guernica et le monumental emblème du Faucheur à la faucille levée, appelé aussi Paysan catalan en révolte . Ses travaux graphiques plus intimes – ainsi cette Femme en révolte – dénoncent à l’égal la violence sanglante qui ravage son pays. Comme à l’habitude, la vision du peintre-poète atteint à l’universel : au-delà du village incendié, ce sont la terre et le ciel qui s’embrasent en une même éruption volcanique ; c’est la femme, créature tellurique au pouvoir inquiétant, dont une jambe géante se métamorphose en sexe incandescent, qui incarne la force de la révolte et la folie meurtrière. Miró met à jour les pulsions les plus primitives, le déchaînement de l’instinct de vie et de mort.
Fuyant en 1938 la Catalogne pour se réfugier à Paris, il manifeste dans son travail graphique son trouble profond : le dessin se fait nerveux, hésitant, mais allant à l’essentiel, exaspéré. S’impose alors la nécessité de retourner à l’apprentissage devant le modèle, en copiant à la Grande Chaumière des nus de femmes, auxquels il imprime torsions et tortures. Reprendre pied, par un travail studieux, terre à terre, lui permet de transmuer la réalité : le peintre de l’incendiaire Nature morte au vieux soulier et de cette Femme en révolte au pied obscène insiste sur la signification symbolique, subversive, qu’il accorde au « gros orteil » ou au « gros pied », chers également à Bataille et à Picasso : tout comme cette nudité de femme offerte, ce pied-pénis, ce pied-bot grotesque, incarne pathétiquement, pour un Miró qui est loin de l’évasion onirique des temps surréalistes, la violence bestiale libérée par la guerre, et la montée de la barbarie.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008