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Dans l'intimité de Marcel Duchamp

Photos personnelles, cartes postales, lettres et notes... Lancé en janvier 2022, le nouveau portail de recherche Duchamp offre en ligne un accès inédit à plus de 18 000 documents et près de 50 000 images liés à la vie et l'œuvre de l'artiste, disparu en 1968. Une occasion exceptionnelle de plonger dans l’intimité du concepteur du ready-made, et de remonter le fil de son processus créatif, notamment celui de l’une de ses œuvres emblématiques, La Mariée mise à nu par ses célibataires, aussi appelée Grand Verre.

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Janvier 1923. Marcel Duchamp est un artiste célébré sur les deux rives de l'Atlantique. À 35 ans, il s’apprête pourtant à mettre un coup d’arrêt à son Grand Verre, une œuvre qu’André Breton lui-même évoquait dans la revue Littérature comme « un tableau de verre […] qui n’est pas le chef-d’œuvre inconnu et sur lequel avant son achèvement courent déjà les plus belles légendes ». Véritable césure dans la vie de Duchamp, cet inachèvement s’éclaire à la lumière des mois qui le précèdent et invite à suivre la vie de l’artiste durant cette période. 


Remontons de vingt-quatre mois le fil du temps, durant l’hiver 1920 à un moment où Duchamp est un peu plus que Marcel, lorsqu'il adopte le pseudonyme de « Rrose ». « Rrose Selavy », alter ego féminin de l’artiste, s’incarne en avril sur la couverture de la revue New York Dada. Photographiée par son ami et collaborateur Man Ray, elle apparaît sous les traits d’une élégante égérie du parfum Belle haleine, eau de voilette, ready-made humoristique fabriqué par Duchamp. Loin d’être la lubie d’un instant, Rrose Sélavy l’accompagnera de longues années, signant des œuvres en lieu et place de l’artiste. 

 

 

Loin d’être la lubie d’un instant, Rrose Sélavy l’accompagnera de longues années, signant des œuvres en lieu et place de l’artiste. 

 

 

Au printemps, l’aventure Dada se poursuit à Paris. Un mois après la parution de New York Dada, Duchamp écrit à sa sœur Suzanne et à son mari Jean Crotti pour annoncer son retour en France. Ceux-ci viennent d’exposer leurs derniers tableaux « Tabu » - une émanation de Dada parisien – dans une exposition à la galerie Montaigne. À ce sujet, Duchamp lui confie : « Tu sais très bien que je n’ai rien à exposer – que le mot exposer ressemble au mot épouser, conséquentemment (sic) n’attends rien et ne t’inquiète pas, c’est gentil d’avoir pensé à moi. Ça va être très amusant pour moi cette exposition Dada ». Cette évocation du Salon Dada, prévu de se tenir en juin 1921, avait en effet reçu pour toute réponse de la part de Duchamp un lapidaire : « Pode bal ». 

L’artiste arrive à Paris pour l’été et s’installe dans l’ancien appartement de sa sœur, au 22 rue de la Condamine, dans le 17e arrondissement de Paris. En juillet, Duchamp convainc Man Ray de le rejoindre à Paris. Les échanges avec les Dada continuent et les deux amis rencontrent André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon et d’autres au café Certa, haut-lieu Dada vers la place de l'Opéra. 


Alors que son complice Man Ray reste à Paris, Duchamp regagne New York durant l’hiver 1921 et reprend le travail de son Grand Verre. À ce sujet, il écrit à ses amis collectionneurs Louise et Walter Arensberg : « J’espère avancer mon verre encore un peu et peut-être le finir, si ça marche comme je veux. Il ne me reste plus qu’un travail de fils de plomb sans choses extraordinaires, peut-être ne mourrai-je pas avant qu’il soit fini. »

Durant l’année 1922, l’artiste ne produit aucune œuvre, ses archives se font plus rares, il donne en revanche des cours de français pour quelques dollars et travaille dans son atelier de l’Upper West Side, au Lincoln Arcade Building. En octobre, Rrose Selavy réapparaît. la revue Littérature publie plusieurs de ses textes aux cotés de celui d’André Breton que Man Ray accompagne d’une « vue prise en aéroplane » . Cette image n’est en fait rien d’autre que le Grand Verre recouvert de poussière dans l’atelier de Duchamp quelques mois plus tôt. Pourtant à l’heure où sort la revue, cette vue n’est plus d’actualité puisque Duchamp a repris le travail de son œuvre. 


Après dix années de recherche et quatre voyages transatlantiques, lassé, Marcel Duchamp laisse son œuvre définitivement inachevée en février 1923. Trop fragile pour être transporté dans la nouvelle maison des Arensberg à Los Angeles, le Verre demeure sur la côte Est, chez sa nouvelle propriétaire Katherine Dreier. Cet arrêt marquera pour Duchamp un retour en France pour deux décennies. 

Bien des années après, en 1966, le critique Pierre Cabanne interrogera Duchamp à propos de cette époque lui demandant « Qu’est-ce qui était important pour vous dans ces années ? » et l’artiste de répondre « Rien. Si, mon Verre. Ça m’a tenu jusqu’en 1923, c’est la seule chose qui m’intéressait ». Selon ses propres mots, il y a cent ans, la vie de Marcel Duchamp était donc toute entière dédiée au Grand Verre. Pourtant au regard de ces quelques éléments biographiques saillants, il est possible d'en douter. Ces deux années auront été pour Duchamp la mise en place du processus d’inachèvement. Et pour cela il fallait au moins à cette œuvre, quasi-artisanale dans son exécution, la vie même de Duchamp entre 1920 et 1923. ◼

Le portail de recherche Duchamp, des archives exceptionnelles


Pour la première fois, un portail numérique consacré à Marcel Duchamp met à disposition du public un ensemble d’archives d'une ampleur inédite. Le portail de recherche Duchamp (Duchamp Research Portal) est un partenariat unique, fruit d’une association entre institutions françaises et américaine. Le Philadelphia Museum of Art (PMA), l’Association Marcel Duchamp (AMD) et le Centre Pompidou.

 

Permettant d’accéder à un ensemble de ressources exceptionnelles autour de la vie et l’œuvre de l’artiste, cette plate-forme numérique novatrice met gratuitement à disposition des chercheurs et du public plus de 18 000 documents et œuvres, pour près de 50 000 images liées à la vie et l'œuvre de Marcel Duchamp, à son entourage et à ses rapports avec les différentes avant-gardes.

 

Découvrez le portail de recherche Duchamp