Chronique d'un été

Prototype imparfait d'un « cinéma-vérité 1 » qui tente par la suite de se départir de cette poisseuse étiquette, Chronique d'un été est né de deux rencontres : celle de Jean Rouch, qui use en ethnologue de la caméra 16mm dès la fin des années 40 au Niger, et d'Edgar Morin, fer de lance d'une « sociologie du présent » (ainsi s'intitule son séminaire à l'Ecole Pratique). Et celle, au Flaherty Seminar, de Jean Rouch avec Michel Brault, brillant réalisateur et opérateur de l'Office National du Film canadien. « En voyant Les Raquetteurs (1958), [Rouch] a constaté que je travaillais au grand angulaire.

Pour travailler au grand angulaire, il faut que tu voies les gens, que tu sois près d'eux. Si tu arrives à les filmer et s'ils continuent à vivre pendant que tu es près d'eux, c'est qu'ils t'ont accepté dans leur groupe 2 ». Armés d'une caméra légère KMT conçue sur mesure par les ingénieurs Coutant et Mathot reliée à un magnétophone avec son synchrone, Rouch, Morin, Brault et leur équipe (dont Raoul Coutard, le chef-op de Jean-Luc Godard) se mettent en marche pour 25 heures d'« enquête psycho-sociologique ».

Mêlant les questions standard du micro-trottoir (« Comment vis-tu ? », « Etesvous heureux ? ») et le regard façon Lettres persanes de Landry, jeune Ivoirien « explorateur de la France », ils parcourent les deux lieux de la Nouvelle Vague, la rue et la chambre, et parient sur les pouvoirs d'une caméra-catalyseur. L'échantillon représentatif sociologique tourne court ; Nadine (Ballot, l'actrice de La Pyramide humaine, Gare du Nord et La Punition de Rouch) et Marceline (Loridan) hèlent quelques passants, mais les interviewés se réduisent surtout à leurs connaissances. Si la mise en scène ethnologique fonctionne à l'échelle individuelle entre Landry et Antonio, ouvrier gouailleur de chez Renault, c'est parce que Rouch est un habitué de ces précipités sur pellicule, lui qui a dans La Pyramide humaine proposé à des lycéens blancs et noirs d'Abidjan de « jouer à se découvrir 3» pour observer les relations interraciales.

Charlotte Garson