Mémoires vives

L'écriture : l'esprit de l'outil.

La mémoire n'est pas un simple réceptacle sur le modèle du stockage informatique : elle est d'abord cette faculté vive, sélective, permettant à chacun de se frayer un chemin dans le fatras chaotique du rapport au réel.

La mémoire produit des traces : elle objective l'intime du souvenir, l'externalise, par nature, opérant un perpétuel travail de retranscription, de traduction, de déplacement, de métaphore, constituant son objet tout en le véhiculant.

Or, l'écriture est une des manifestations les plus caractéristiques de ce processus. Depuis son apparition en Mésopotamie méridionale (Sud de l'Irak actuel, où apparaît plus flagrante cette cruelle ironie d'une Histoire qui détruit sa propre source) il y a environ 5400 ans, jusqu'à sa prolifération réticulaire sous forme numérique, elle est un outil radicalement nouveau dans un processus pourtant inhérent à l'évolution de l'homme et qui conduit ce-dernier à extérioriser aussi bien sa pensée (invention du langage) que son action (projection dans le temps) et les moyens de son action (invention des outils).

Gardons-nous cependant de toute vision linéaire du progrès vers l'écriture actuelle, ainsi que d'un déterminisme social ou technique qui restreindrait la démarche de l'épistémologue.

Surtout, l'écriture met en évidence cette coupure qui toujours existe entre la chose vécue et sa représentation : l'homme n'est jamais dans une pure présence à lui-même, au monde ou aux autres. Outil d'identité, d'identification (à soi-même, au groupe), mais aussi signifiant, par son existence-même, la conscience de la perte, de l'absence, d'une absence toujours déjà là.

Anne-Sophie Chazaud.

Avec :

Jean-Jacques Glassner, assyriologue (spécialiste de la Mésopotamie), directeur de recherches au CNRS, enseignant à l'EHESS.

Bernard Stiegler, directeur de l'Ircam, philosophe.

Rencontre animée par Anne-Sophie Chazaud, conservateur Bpi.