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« La traversée des apparences », la mode au fil de l'art

Christian Dior, Jean Paul Gaultier, Martin Margiela, Marine Serre... Au cœur du Musée national d'art moderne, « La traversée des apparences » est un tout nouveau parcours qui propose un passionnant jeu de correspondances entre silhouettes mode et œuvres d'artistes modernes et contemporains. Visite commentée par la journaliste et autrice Laurence Benaïm, commissaire de l'exposition.

± 7 min

Depuis le début du 20siècle, l'art et la mode sont en constant dialogue. Paul Poiret, l'une des premières stars de la couture française, fut aussi l'un des premiers à échanger avec des artistes comme Robert Delaunay, André Derain, Constantin Brancusi, Pablo Picasso ou encore Raoul Dufy. Depuis, les allers-retours n'ont jamais cessé, l'un se nourrissant de l'autre − et inversement. En 2022, avec « Yves Saint Laurent aux Musées », le Centre Pompidou initiait une conversation chromatique et conceptuelle entre silhouettes de créateurs et œuvres de la collection du Musée national d’art moderne. « La traversée des apparences » poursuit ce dialogue. 

 

De Christian Dior à Iris van Herpen, d'Azzedine Alaïa à Thebe Magugu, de Jean Paul Gaultier à Issey Miyake en passant par Chanel ou Charles de Vilmorin, le parcours dans le Musée, jalonné par dix-sept modèles, trace des lignes de correspondance entre créateurs de mode et artistes, modernes ou contemporains.

 

De Christian Dior à Iris van Herpen, d'Azzedine Alaïa à Thebe Magugu, de Jean Paul Gaultier à Issey Miyake en passant par Chanel ou Charles de Vilmorin, le parcours dans le Musée, jalonné par dix-sept modèles, trace des lignes de correspondance entre créateurs de mode et artistes, modernes ou contemporains. Affinités électives, obsessions partagées : à chaque fois, une silhouette réinventant l'anatomie, usant du trompe-l'œil ou de prothèses, dialogue avec une œuvre ou un courant artistique. Un voyage dans l’imaginaire formel des designers de mode et un nouveau regard sur la collection du Centre Pompidou. Visite commentée par Laurence Benaïm, journaliste spécialiste de la mode et autrice de nombreux livres, dont la biographie Yves Saint Laurent (1993, Grasset) ou le récent Christian Dior, Christian Bérard, la mélancolie joyeuse (Gallimard).

Christian Dior / Ellsworth Kelly

Laurence Benaïm — « J’ai choisi ce modèle parce qu’il fait partie des icônes de la mode du 20siècle. Avec le New Look, et plus précisément ce tailleur Bar, qui coïncide avec la naissance de sa maison de couture en 1947, Christian Dior signe un manifeste, et célèbre "le retour à l’art de plaire". Au-delà des oppositions entre narration et abstraction, cette confrontation avec une œuvre d'Ellsworth Kelly est là pour démontrer que l’important en art comme en mode est d’avoir une ligne, une obsession. Qu’importe la matière, le support, c’est le point de vue qui compte. »

Martin Margiela / Giorgio De Chirico

Laurence Benaïm — « Cette robe fait partie des collections du Palais Galliera, et cette "cape artisanale aux dix-neuf chapeaux récupérés", des archives de la Maison Margiela. Si j’ai choisi ce modèle pour l’exposer dans la salle surréaliste, c’est parce qu’il met en scène une vision artisanale, soutenue par une vision iconoclaste et détournée de la mode associant tradition et avant-garde. Le Belge Martin Margiela (né en 1957, ndlr) n’a cessé de mettre l’envers à l’endroit, de multiplier les jeux d’illusion et de trompe l’œil tout en soutenant son propos par un vrai travail de coupe. Il entre naturellement en conversation avec De Chirico et sa représentation métaphysique du monde. »

Marine Serre / Marcel Duchamp

Laurence Benaïm — « En inventant un langage, en privilégiant le regard porté sur l’objet trivial et banal, bicyclette, roue, urinoir, silhouettes de moulages flottant entre deux plaques de verre, Marcel Duchamp a initié de nouvelles relations entre l’art et le quotidien transfiguré en œuvre. "La collection Amor Fati est une invitation à embrasser concrètement tous les plaisirs et les adversités de la vie..." semble lui répondre la jeune créatrice française Marine Serre (née en 1991, ndlr) dans ce readymade expérimental que j’ai choisi parce qu’il associe en mode dada, le survivalisme et le recyclage. »  

Jean Paul Gaultier / Wilhelm Freddie

Laurence Benaïm — « Ce corset de métal plongé dans un bain d’argent (1988), est un modèle emblématique et manifeste de Jean Paul Gaultier. Le couturier Paul Poiret, star de la mode du début du 20siècle, fut le premier à affranchir la mode du corset. En transformant ce vêtement de dessous en vêtement de dessus, Jean Paul Gaultier a brisé les tabous du visible et du caché. Corset fétiche, corset talisman, auquel il a fait perdre son image contraignante pour s’affirmer comme une arme de pouvoir. Une transgression qui fait écho à celle du peintre danois Wilhelm Freddie, dont le corps de la religieuse mis à nu suscita les foudres de la bourgeoisie. »

Kevin Germanier / Ulrike Ottinger

Laurence Benaïm — « À l’image des visions mosaïques d’Ulrike Ottinger, figure emblématique du nouveau cinéma allemand, les silhouettes du suisse Kevin Germanier (né en 1992, ndlr) sont des apparitions. L’artiste observe et raconte le Paris des années 1960 dans ses peintures comme dans ses films (Paris Calligrammes). De son côté, le créateur de mode s’empare des déchets de la société de consommation, chutes de tissus, invendus, plumes strass, jouets, perles, gadgets, pour "raconter la vie dans tout son éclat" : "C’est la matière qui nous mène. Quand on essaie de forcer, de contrôler, elle se défend". Assemblées une à une, les perles se déploient en majesté. Surgit alors cet alien multicolore, pareil à un extraterrestre brodé de lumière. » ◼