
Dans la discothèque de Vassily Kandinsky
Vers 1926, installé à Dessau où il enseigne pour le Bauhaus, Vassily Kandinsky offre à son épouse Nina un gramophone. Ensemble, ils constituent une éclectique collection de disques, sur les conseils de Lily Stumpf, l'épouse de leur ami Paul Klee. Dans son autobiographie Kandinsky et moi (parue en 1978, ndlr), Nina Kandinsky raconte : « [Vers 1926], Kandinsky me fit cadeau d’un gramophone. Mme Klee, qui était experte en la matière, voulut m’aider à dresser rapidement la liste d’une petite collection de disques en me donnant des conseils […]. Comme je faisais confiance à Mme Klee et à son jugement, je suivis son conseil. Le lendemain, Mme Klee, Kandinsky et moi, nous sommes allés dans une boutique spécialisée de Dessau pour acheter des disques. »
Comme un livre ouvert, cette collection compose finalement le tableau sonore de la vie musicale des Kandinsky.
Constituant une source exceptionnelle, bien que méconnue, quatre-vingt-quinze disques de la collection des Kandinsky sont aujourd’hui conservés dans les archives du Centre Pompidou. Plus d’une vingtaine provient du magasin Musik Haus Olberg de Dessau. Commencée avec l’aide de Lily Klee, cette collection est bientôt complétée par les Kandinsky, au gré de leurs rencontres musicales à Dessau puis à Berlin. Pas moins de onze disques sont en effet interprétés par le violoniste et ami Szigeti ; et douze autres font entendre le chef d’orchestre Leopold Stokowski — avec qui Kandinsky projette une reprise des Tableaux d’une exposition à Philadelphie en 1930. Comme un livre ouvert, cette collection compose finalement le tableau sonore de la vie musicale des Kandinsky.
Deux fois par an, on s’en donnait à cœur joie chez nous : à la Saint-Sylvestre et pendant le Carnaval. À la Saint-Sylvestre, nous invitions toujours les familles Klee, Grote, Albers. Muche et sa femme étaient aussi des nôtres. Kandinsky qui, par ailleurs, ne dansait jamais, faisait une exception pour le réveillon.
Nina Kandinsky
On y relève d’abord la place accordée aux musiques folkloriques et religieuses russes, celles-là mêmes qui très tôt habitent ses paysages russes, comme Reitendes Paar [Couple à cheval] : « J’y ai donné forme à beaucoup de mes rêves, confie Kandinsky à propos de ce tableau : il y a réellement une musique d’orgue en lui. »
Dans cette même collection, les maîtres anciens — Bach, Scarlatti et Haendel — côtoient aussi les modernes Bartók, Stravinsky et Milhaud ; et la première école de Vienne, avec Mozart, Haydn et Beethoven, dialogue avec les écoles nationales russes, notamment Moussorgski et Tchaïkovski. Comme un écho aux bals de l’école qu’appréciait tant Nina, se distinguent plusieurs disques de fox trot et de charleston.
Et presque avec tendresse, nous découvrons un enregistrement du Beau Danube bleu de Johann Strauss, qu’évoque précisément Nina dans ses souvenirs ; or ses mots rappellent combien la musique, chez Kandinsky, révèle non seulement l’artiste et l’intellectuel qu’il était, mais l’homme dans son quotidien, naturel et touchant : « Deux fois par an, on s’en donnait à cœur joie chez nous : à la Saint-Sylvestre et pendant le Carnaval. À la Saint-Sylvestre, nous invitions toujours les familles Klee, Grote, Albers. Muche et sa femme étaient aussi des nôtres. Kandinsky qui, par ailleurs, ne dansait jamais, faisait une exception pour le réveillon. À minuit, il surmontait sa répugnance et m’entraînait sur la piste de danse — de même que Klee. Notre danse était toujours Le Beau Danube bleu, de Johann Strauss. » ◼
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Dans l'agenda
Vassily Kandinsky jouant du violoncelle avec un ami pianiste, vers 1900.
Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris, fonds Kandinsky
Photo © Bibliothèque Kandinsky, Mnam-Cci, Centre Pompidou/Fonds Kandinsky/Dist. GrandPalaisRmn
Papa Charlie Jackson, Shake that thing
Abe Lyman's California Orchestra. Brunswick, 1926.
Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris, fonds Kandinsky
Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci/Bertrand Prévost/Dist. GrandPalaisRmn
Igor Stravinsky, Le Sacre du Printemps
Leopold Stokowski (dir.), Philadelphia Symphonic Orchestra. Electrola, 1931.
Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris, fonds Kandinsky
Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci/Bertrand Prévost/Dist. GrandPalaisRmn
Kol Nidre (chant synagogal). Gershon Sirota (ténor), Samuel Alman (dir.), avec chœur et orgue.
Disque, Columbia, 1931.
Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris, fonds Kandinsky
Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci/Bertrand Prévost/Dist. GrandPalaisRmn
Johann Strauss, An der schönen blauen Donau [Le beau Danube bleu].
Leopold Stokowski (dir.), Philadelphia Sinfonie Orchester. Disque, Electrola, 1926.
Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris, fonds Kandinsky
Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci/Bertrand Prévost/Dist. GrandPalaisRmn









