
Secrets d'archi ► La « Chenille » du Centre Pompidou
C’était l’un des secrets les moins bien gardés de la capitale. Jusqu'à fin septembre 2025 (période à laquelle le bâtiment a cessé d'accueillir les publics pour cause de mise en sommeil), on pouvait monter sans devoir s’acquitter du prix d’un billet dans la fameuse « Chenille » du Centre Pompidou. Et se laisser porter par ses escaliers mécaniques au flegme légendaire vers l’un des points de vue les plus remarquables de Paris.
L’expérience vécue sur les escalators s’apparente à un tour de manège en fête foraine : ça monte, ça monte… Et même si on s’épargne le grand huit, l’arrivée sur le panorama est époustouflante. À une quarantaine de mètres de haut, le regard embrasse tout Paris et ses monuments — le Panthéon, le Sacré-Cœur, Notre-Dame-de-Paris — et même au-delà, jusqu’aux tours du quartier d’affaires de La Défense. Autrefois incarnation du progrès, ces escaliers mécaniques paraissent aujourd’hui témoigner d’un modernisme attendrissant. Leur lenteur hypnotique fait partie intégrante de l’expérience de visite.
L’escalator est devenu un objet banal dans nos vies, mais il reprend ici un sens poétique.
Hiroko Kusunoki, architecte, cofondatrice de l’agence Moreau Kusunoki
Il arrive que des visiteurs, trop absorbés par la vue, en oublient même d’aller voir les expositions. Germain Viatte (1939–2024), qui fut le premier directeur de la documentation du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou, décrivait cette ascension comme un philtre d’amour aux vertus mystiques : « (...) l’escalator en plein ciel élevait le corps et l’esprit ; on s’y embrassa beaucoup ».
Jean Widmer, le graphiste à l’origine du génial logo du Centre Pompidou en 1977, ne s’y était pas trompé en faisant de la « Chenille » l’élément central de sa composition : elle est devenue son emblème, en plus d’en être le chemin de circulation principal. En 2020, on estimait que plus de 250 millions de personnes l’avaient déjà empruntée depuis son inauguration !
C'est le logo que j’ai dessiné le plus vite de toute ma carrière, je l’avais déjà en tête.
Jean Widmer
Aujourd'hui reconnaissable entre mille, sa forme définitive est pourtant bien éloignée de ce que l’on voyait en 1971 sur les dessins de façade du projet lauréat du duo Renzo Piano et Richard Rogers. On l’imaginait d’abord se ramifier au milieu d’une ambitieuse composition d’écrans d’information géants et d’une enveloppe translucide, formant un « mur tridimensionnel » progressivement abandonné par ses concepteurs. C'est ainsi : née d’un renoncement, la Chenille deviendra pourtant l’un des attributs architecturaux les plus identifiés du Centre Pompidou.
La Chenille est un lieu de rendez-vous, propice aux selfies en tous genres. Amants et artistes s’y croisent. En 2024, la chanteuse, auteure-compositrice et productrice islandaise Björk et l’artiste Aleph y diffusaient en continu Nature Manifesto, une installation sonore immersive mêlant manifeste écologique et samples de cris d’animaux disparus. En octobre 2025, c'est l'artiste chinois Cai Guo-Qiang qui s'emparait de la façade et de la Chenille pour Le Dernier Carnaval, une fresque pyrotechnique diurne toute en couleurs, un au revoir éblouissant pour célébrer les dernières heures du bâtiment avant sa rénovation.
La Chenille reste un lieu de rendez-vous, propice aux selfies en tous genres. Amants et artistes s’y croisent.
La Chenille, elle, a déjà été remise à neuf en 2021. Le lépidoptère a fait sa mue — motivée par des enjeux de confort et de performance thermique — en remplaçant ses mille deux cents vitres. La nature est bien faite : certains des verres endommagés ont été réemployés pour aménager des bureaux à Saint-Ouen. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se métamorphose.
Comme un hommage, le Centre Pompidou Francilien affichera bientôt (ouverture fin 2026 à Massy dans l'Essonne) sur sa façade une large zébrure — un escalier classique cette fois-ci. Un clin d'œil au bâtiment originel de Renzo Piano et Richard Rogers, signé de l'agence d'architecture PCA-STREAM, en charge du projet.
La Chenille est un amplificateur de société, c’est presque une rue.
Nicolas Moreau, architecte, cofondateur de l’agence Moreau Kusunoki
Aujourd’hui mise en sommeil pour cinq ans, la Chenille attend paisiblement son heure. « Elle est un amplificateur de société, c’est presque une rue. Il faut garder sa fonction et la rénovation vise à la remettre au cœur du bâtiment », assure Nicolas Moreau, architecte, cofondateur de l’agence Moreau Kusunoki, chargée de repenser les espaces intérieurs pour la réouverture du bâtiment Beaubourg. En 2030, on sera tous et toutes là pour la voir qui redémarre ! ◼
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Photo © Sergio Grazia








