Exposition
Jeremy Shaw
Phase Shifting Index
26 févr. - 27 juil. 2020
26 févr. - 27 juil. 2020

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Dans le cadre de « Mutations/Créations », l’exposition dédiée à Jeremy Shaw présente un projet immersif inédit, flirtant avec la science-fiction et les cultures alternatives. L’entreprise de Shaw se situe à la conjonction de plusieurs questionnements contemporains qui agitent tout autant la philosophie, l’anthropologie et la sociologie, les sciences, notamment les sciences cognitives et les neurosciences, et enfin, les dernières avancées technologiques comme les bionanotechnologies. Son œuvre s’affirme comme une tentative plastique et sonore pour rendre compte de ces multiples développements de la recherche, tout en les propulsant dans un champ fictionnel, flirtant avec la science-fiction et les cultures alternatives.
Avec « Mutations/Créations », le Centre Pompidou se transforme en laboratoire de la création et de l’innovation à la frontière des arts, de la science, et de l’ingénierie. Chaque année, le programme réunit des artistes, des ingénieurs, des scientifiques et des entrepreneurs. En 2020, « Mutations/Créations » poursuit sa recherche prospective au travers de deux expositions, « Neurones, les intelligences simulées » et « Jeremy Shaw », après trois éditions successivement consacrées à l’impression 3D (« Imprimer le monde » et « Ross Lovegrove » en 2017), aux langages informatiques (« Coder le monde » et « Ryoji Ikeda » en 2018) et à la création mêlant artificiel et vivant (« La Fabrique du vivant » et « Erika Verzutti » en 2019).
Présentation par la commissaire d'exposition
Originaire du Canada, basé à Berlin, Jeremy Shaw poursuit son œuvre plastique, sonore et souvent immersive depuis plus de quinze ans, après une période de voyages à travers le monde comme DJ avec son projet Circlesquare, de 1996 à 2009. Ces années-là ne sont à l’évidence pas indifférentes à la nature même de son travail plastique, où la musique et la dimension sonore prennent une large part.
L’entreprise de Shaw se situe à la conjonction de plusieurs questionnements contemporains qui agitent tout autant la philosophie, l’anthropologie et la sociologie, les sciences, notamment les sciences cognitives et les neurosciences, et enfin, les dernières avancées technologiques comme les bionanotechnologies. Son œuvre s’affirme comme une tentative plastique et sonore pour rendre compte de ces multiples développements de la recherche, tout en les propulsant dans un champ fictionnel, flirtant avec la science-fiction et les cultures alternatives.
Sans établir de hiérarchies, Shaw tisse ses récits en se nourrissant aussi bien de la culture psychédélique des années 1960 et 1970 issue de la Beat Generation que des avancées les plus récentes des neurosciences sur le fonctionnement du cerveau, tout en travaillant précisément sur la perception au sein même de ses installations. Ces dernières engagent en effet le spectateur dans une véritable expérience multisensorielle, parvenant ainsi à susciter des interrogations dans l’œuvre comme dans son expérimentation, au sens du vécu du sujet percevant. Les procédés employés par Shaw visent à obtenir des effets analogues à ceux qui l’intéressent dans sa recherche. Une distorsion voire une dissolution des limites, à la fois par une interrogation sur l’aspiration humaine à la transcendance à l’heure du triomphe des sciences cognitives, ainsi qu’à travers une méthode plastique.
Rejetées par le positivisme et la critique marxiste à la fin du 19e siècle puis au 20e siècle, les interrogations qui concernent la métaphysique, cette première philosophie qui s’occupe des choses « au-delà du monde », à savoir l’éternel, les causes premières, le divin, sont bien au centre de l’entreprise de Shaw. À cette dimension métaphysique s’ajoute une sensibilité aiguë à la sociologie, en particulier celle des croyances. Shaw interroge la persistance de ce besoin fondamental de l’être humain d’une spiritualité et de croyances, en dépit des avancées scientifiques qui avaient pu faire penser que ce besoin serait supplanté par la raison et les progrès technologiques. Des raves à la banalisation des drogues dures, Shaw observe la perte d’un certain idéalisme et d’un désir révolutionnaire typique des années 1970 au profit des modes et des tendances prêtes à consommer. Les neurosciences et les sciences cognitives constituent une troisième pierre d’achoppement de l’œuvre de Jeremy Shaw. Il s’empare des nouvelles images produites par les sciences du cerveau, comme les IRM, la spectroscopie ou la photographie microscopique. Son œuvre apparaît comme la mise en scène d’une imagerie scientifique détachée d’une assise théorique, rencontrant des croyances populaires nées en même temps que les nouvelles technologies.
Jeremy Shaw présente au Centre Pompidou sa première grande exposition muséale en France avec un projet immersif inédit, Phase Shifting Index. Celui-ci s’inscrit dans la suite de sa série Quantification Trilogy dont le Centre Pompidou a acquis la vidéo Liminals en 2017, après sa présentation à la Biennale d’art de Venise en 2017.
À l’entrée de l’exposition, le public découvre des photographies kaléidoscopiques reprenant des images de transes religieuses ou festives soumises à un processus d’éclatement et de fragmentation. À ces photographies produites pour l’exposition s’ajoute une grande installation conçue spécialement pour la Galerie 3, Phase Shifting Index. Cette œuvre visuelle et sonore apparaît comme l’acmé et la synthèse des installations et recherches précédentes de Shaw, tout d’abord par l’ambition d’une immersion plus intense encore du spectateur. Pénétrant dans une vaste salle par une longue rampe provoquant un sentiment claustrophobique, le visiteur se retrouve en hauteur sur des gradins qui surplombent quelque peu l’espace plongé dans le noir où, sur sept écrans suspendus, sont diffusés sept films montrant des groupes de danseurs semblant provenir d’époques différentes exécutant des mouvements de type rituels et cathartiques jusqu’à se synchroniser dans un moment d’extase collective sur une seule et même bande sonore et visuelle.
Au summum de cette catharsis transtemporelle où culmine une même aspiration à la transcendance, sont alors projetées sur tous les écrans pendant les quelques minutes restantes les images déformées par un outil informatique des visages des personnages des films précédents dans une explosion de couleurs et de sons dérangeants voire angoissants, comme si cette harmonie était soudain brisée. Cette défiguration inspirée par les biotechnologies renvoie à un sentiment d’incertitude sur les débouchés des adjonctions au corps humain, tout comme elle provoque à la fois une fascination esthétique et un malaise. Shaw détourne ainsi les avancées scientifiques de la même façon qu’il joue avec les outils et les questions parfois irrésolues des sciences cognitives.
Confrontation des aspirations rationnelles et spirituelles dans une future ère posthumaine, l’installation vidéo Phase Shifting Index envoûte comme elle effraie, dissolvant les limites de l’image et du son, excitant les nerfs perceptifs du spectateur partagé entre une extase et une frayeur fascinée par elle-même.
Le Centre Pompidou s’est associé au Swiss Institute, New York, et au Museum of Old and New Art (Mona), Hobart, Tasmanie, pour coproduire le film présenté dans l’exposition et le montrer de concert, sous trois formes différentes, à partir de février 2020 au Centre Pompidou, puis en avril au Swiss Institute, et enfin en juin au Mona. Le Centre Pompidou et le Swiss Institute se sont associés également pour coéditer la première monographie complète de l’artiste qui paraît en français et en anglais.
Source :
Par Christine Macel
Conservatrice
Cheffe du service création contemporaine et prospective, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou
Commissaire de l’exposition
In Code couleur n°36, janvier-avril 2020, p. 20-23
Où
Galerie 3
Quand
26 févr. - 13 mars 2020