Gran doble escritura (Grande écriture double)
1977
Gran doble escritura
(Grande écriture double)
1977
Domaine | Sculpture |
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Technique | Peinture acrylique sur bois, métal peint, fils de Nylon |
Dimensions | 253,5 x 380 x 30 cm |
Acquisition | Achat, 1977 |
N° d'inventaire | AM 1977-556 |
Informations détaillées
Artiste |
Jesús Rafael Soto
(1923, Venezuela - 2005, France) |
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Titre principal | Gran doble escritura (Grande écriture double) |
Titre de la série | Ecritures |
Date de création | 1977 |
Domaine | Sculpture |
Technique | Peinture acrylique sur bois, métal peint, fils de Nylon |
Dimensions | 253,5 x 380 x 30 cm |
Inscriptions | S.D.T.G.R. : Soto / 77 / Gran doble escritura |
Acquisition | Achat, 1977 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Contemporain |
N° d'inventaire | AM 1977-556 |
Analyse
« Les Écritures sont pour moi une façon de dessiner dans l’espace1. »
La série des Écritures que Soto entreprend fin 1962 est un développement du travail qu’il a mené depuis 1957 sur les Vibrations à partir d’éléments métalliques. On en trouve toutefois une première formulation en 1958, dans un mural de 30 mètres de long créé sur commande pour le pavillon vénézuélien de l’Exposition universelle de Bruxelles, que le critique d’art Alfredo Boulton appellera par la suite « Pré-Écriture ». Comme dans ses Vibrations, Soto joue à Bruxelles sur la superposition d’une surface tramée et d’éléments métalliques séparés de celle-ci par un espace vide de quelques centimètres. Le fond du mural comporte des parties peintes en noir et striées verticalement de blanc, et vice versa. Sur le rebord supérieur, Soto a soudé un assemblage de signes géométriques – demi-cercles, courbes, droites – en fil de fer peint en blanc, ou, à certains endroits, en noir. Lorsque l’on regarde le mural de face en se déplaçant légèrement, la superposition des figures géométriques sur la surface striée produit un effet optique étourdissant : tout semble vibrer.
Soto développera la série qui prendra le nom d’« Écritures2 » jusque dans les dernières années de sa vie (il en réalisera encore en 2004, peu avant sa disparition), explorant inlassablement la vibration produite par la confrontation des lignes parallèles du fond et des figures métalliques au premier plan. Cette nouvelle série marque une rupture avec les compositions « informelles » des années 1959-1961. L’artiste y réaffirme sa volonté de contrôler les éléments visuels et revient à des formes géométriques plus pures – cercles, lignes, triangles, courbes et arabesques. L’agencement des éléments graphiques varie dans chaque Écriture. Ils ne sont plus fixés au cadre, comme dans le Mur de Bruxelles, mais suspendus par des fils de Nylon transparents le long de la surface tramée. Parfois, Soto libère les lignes et les courbes des contraintes du cadre et les laisse flotter dans le vide, instituant ainsi un nouvel espace plastique3. Il joue également sur les formats – carrés, horizontaux, verticaux – du tableau. À partir des années 1980, la couleur est de plus en plus présente dans son travail et on voit apparaître des Écritures jaunes ou bleues4. Les œuvres de cette série peuvent être de toutes les dimensions : celles de tableaux que l’on accroche chez soi, ou d’une taille plus imposante si elles sont destinées à figurer sur les cimaises d’un musée, voire monumentale lorsque ce sont de véritables intégrations architecturales, comme la grande Écriture (1975) qui accueille les visiteurs et les employés du siège des usines Renault.
Écriture noir[e] du Havre, 1965, est l’une des premières Écritures de Soto. Elle doit son titre à une exposition prévue au Musée des beaux-arts du Havre qui n’a jamais eu lieu. L’œuvre sera néanmoins exposée peu de temps après sa réalisation, en octobre 1965, lors de la première rétrospective Soto en Grande Bretagne, « The Achievements of Jesús Rafael Soto 1950-1965 : 15 Years of Vibrations », à la Signals Gallery de Londres.
Sur un fond carré noir, strié de lignes blanches peintes à la main, de fines formes métalliques en fil de fer coudé à angle aigu ou en arcs de cercle, peintes en noir, sont suspendues par des fils de Nylon transparents de différentes longueurs. Disposés tout le long de la surface tramée, ces éléments composent une calligraphie à la fois libre et rigoureuse, en perpétuelle tension et en parfait équilibre. Au moindre souffle, au plus petit déplacement du visiteur, ils bougent, la surface s’anime et la composition se met à vibrer. Les formes deviennent instables, apparaissant ou disparaissant au fur et à mesure que le regard du spectateur se déplace.
Réalisée plus de dix ans plus tard, Gran doble escritura, 1977, résulte d’une commande du directeur du Musée national d’art moderne, Pontus Hulten, pour l’ouverture du Centre Pompidou. Soto y répond en créant une œuvre de grandes dimensions adaptée aux larges espaces du musée, divisée horizontalement en deux parties égales. La moitié supérieure du fond est peinte en blanc et striée de lignes verticales parallèles noires, et sa partie inférieure peinte en noir et striée de lignes verticales blanches. La surface est entièrement tramée au tire-ligne, de façon systématique et impersonnelle. Des éléments métalliques sont suspendus au-dessus de celle-ci par des fils de Nylon de différentes longueurs. Ils sont peints en blanc lorsque la surface est blanche, en noir lorsque la surface est noire. Ces éléments constituent un graphisme complexe, « positif-négatif », structuré autour de lignes verticales ou horizontales qui parcourent le tableau et s’échappent du cadre, et de courbes qui se projettent dans l’espace vers le spectateur. La superposition des plans crée un effet de profondeur par le jeu des formes (lignes, cercles, arabesques) et des valeurs (clair, sombre).
Lorsque le spectateur se déplace latéralement devant le tableau, il le voit papilloter, se mettre à vibrer : la lumière surgit par éclats. Perturbé, l’œil ne sait plus si les lignes verticales tramées passent devant ou derrière les éléments métalliques. Les formes se dématérialisant dans l’espace lumineux qui les enveloppe abolissent la distance entre l’œuvre et celui qui regarde. Ainsi déstabilisé, le spectateur est envahi par une sensation de vertige, d’éblouissement, qui peut devenir angoissante. Il entre alors de plain-pied dans le « plein total d’énergie, de temps, de mouvement5 » que constitue l’univers de Soto : « Avec l’œuvre, nous tentons de retrouver la situation des origines, en brisant la symétrie initiale, comme le grand bang des sources. Notre matière réelle est l’impalpable, hors mesures, dans l’espace de l’esprit6. »
Nathalie Ernoult
Notes :
1. Jesús Rafael Soto, dans « Extraits d’entretiens avec Claude-Louis Renard », Soto. OEuvres actuelles, cat. expo., Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1979, n.p.
2. « Je ne les appelais pas Écritures. Mon intention était de dessiner dans l’espace, mais les gens trouvaient que cela ressemblait à des écritures et me demandaient toujours si cela voulait dire quelque chose. Plus tard, j’ai fini par les appeler comme cela » (Ariel Jiménez, Conversaciones con Jesús Soto/Conversations with Jesús Soto, Caracas, Fundación Cisneros, 2005 p. 95). [Notre traduction].
3. Voir Escritura, 1965, 102 x 173 x 16 cm, collection famille Soto, Museo de arte moderno Jesús Soto, Ciudad Bolívar, et Grafisme de Berne, 1965, 102 x 172 x 35 cm, Kunstmuseum, Berne.
4. Écriture verticale jaune, 1989, 203 x 102 x 38 cm, collection particulière, Escritura azul, 2004, 57 x 145 x 13 cm, collection Isabelle Soto.
5. J. R. Soto, dans André Parinaud, Conversations avec des hommes remarquables sur l’art et les idées d’un siècle, Paris, Éditions Michel de Maule, 2006, p. 154.
6. Ibid.
Source :
Extrait du catalogue Soto, Collection du Centre Pompidou - Musée national d'art moderne, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2013
Analyse
Soto met en chantier la série « Écritures » à partir du milieu des années 1960, alors que l’art optico-cinétique connaît son apogée. Cette écriture présémantique articule en fait une suite d’arcs gestuels, courbes et contre-courbes en fil de fer qui, suspendues devant un fond rayé, se dissolvent dans le frémissement lumineux de la vibration. D’une série à l’autre, la vibration est le thème fondamental de l’œuvre de Soto : elle est ce qui permet de contrer l’apparition de toute forme pérenne sur la surface, et de substituer à l’ancienne conception du tableau comme composition interne d’éléments statiques celle du tableau comme champ d’énergie activé par la couleur et la lumière irradiantes. Couleur et lumière n’entrent alors plus dans les catégories formelles et stylistiques habituelles pour être envisagées comme le produit de forces physiques s’exerçant pleinement sur la surface de l’œuvre et dans l’espace qu’elles activent : celui du spectateur. Car le déplacement du spectateur est un prodigieux facteur démultiplicateur de la sensation visuelle, dont l’intensité, traduite en moirages frémissants et en saccades flageolantes, s’enrichit et s’accélère proportionnellement à la dépense motrice qu’il aura consentie. Conformément à l’ambition de l’artiste, l’œil est devenu « le moteur de l’œuvre ». C’est la position singulière que tient Soto, avec des artistes comme Jean-Pierre Yvaral ou Ludwig Wilding, dans une tendance de l’art cinétique qui se refuse le plus souvent à l’emploi de moyens mécaniques.
Arnauld Pierre
Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007
Bibliographie
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La Collection du Centre Georges Pompidou : les chefs-d''oeuvre du Musée national d''art moderne : Tokyo, Museum of Contemporary Art, 20 septembre-14 décembre 1997 (cat. n° 110, cit. et repr. coul. p. 143)
Collection art contemporain : Paris, Musée national d''art moderne, sous la dir. de Sophie Duplaix. - Paris : Centre Pompidou, 2007 (cit. et repr. coul. p. 436) . N° isbn 978-2-84426-324-7
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Jesus Rafael Soto dans les collections du Centre Pompidou, Musée national d''art moderne : Paris, Centre Pompidou, Galerie du Musée, 27 février-20 mai 2013.- Paris: Centre Pompidou, 2013 (cat. n° 14, cit. p. 68, repr. coul. p. 69) . N° isbn 978-2894426-594-4
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