
Le jour où... Gordon Matta-Clark a voulu percer la structure du Centre Pompidou
À l'été 1975, les badauds de la rue Beaubourg sont intrigués. Sur l'un des murs d'un immeuble en cours de destruction apparaît un étrange petit trou. D'abord de forme ronde, il se transforme, sous les coups de masse répétés, en virgule. Avant de laisser apercevoir, au bout de quelques jours, une large béance…
Il s'agit de Conical Intersect, une œuvre de l'artiste conceptuel américain Gordon Matta-Clark, réalisée dans le cadre de la Biennale de Paris. Gigantesque cône creusant à travers les murs et les planchers une spirale, dont la partie la plus large s’ouvre sur les rues du quartier et dont la pointe transperce le toit de la maison voisine, Conical Intersect laisse entrevoir aux passants des fragments de l’ossature du futur Centre Pompidou. Selon Gerry Hovagimyan, collaborateur de Matta-Clark, le jeu de lumière créé s’inspirait d’un film d’Anthony McCall, Line Describing a Cone (1973), qui s’ouvre sur une tache de lumière traçant peu à peu un cône dans l’espace.
Gigantesque cône creusant à travers les murs et les planchers une spirale, dont la partie la plus large s’ouvre sur les rues du quartier et dont la pointe transperce le toit de la maison voisine, Conical Intersect laisse entrevoir aux passants des fragments de l’ossature du Centre Pompidou.
Répondant à l’invitation de Jean-Hubert Martin, alors conservateur au Musée national d'art moderne, la première idée de Gordon Matta-Clark était de percer la structure du Centre Georges Pompidou, en cours de construction. Le projet ayant été rejeté, l'artiste choisit alors deux immeubles jumeaux datant du 17e siècle. Situés aux numéros 27 et 29 de la rue Beaubourg, ils sont promis à la démolition. À cette époque, le quartier est en effet un vaste chantier. En lieu et place d'un immense parking desservant les halles encore toute proches, le futur Centre Georges Pompidou est en cours de construction. Autour, de nombreux pâtés de maisons ont été rasés — le quartier ayant été identifié comme « îlot insalubre n°1 » par les autorités dès les années 1930.
Figure centrale de la scène du New York des années 1970, Gordon Matta-Clark a fait des études d'architecture à la prestigieuse université de Cornell avant de devenir pleinement artiste. Chargée d’une dimension sociale et historique, sa pratique se situe à la frontière de la sculpture et de l’architecture. Inspiré notamment par l'artiste de land art Robert Smithson, qu'il a rencontré, Matta-Clark est guidé par la volonté d’introduire une critique de l’environnement urbain en en modifiant la perception. Il produit des œuvres in situ en pratiquant des cuttings (ouvertures) dans l’architecture, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments. Entre 1972 et 1973, il intervient ainsi dans des bâtiments abandonnés du South Bronx, quartier défavorisé de New York (la ville sera déclarée en banqueroute en 1975) — c'est la série des Bronx Cuts et des Bronx Floors.
Inspiré notamment par l'artiste de land art Robert Smithson, qu'il a rencontré, Matta-Clark est guidé par la volonté d’introduire une critique de l’environnement urbain en en modifiant la perception.
Si la plupart des interventions de l'artiste ont été démolies, des témoignages rendant compte de l’élaboration de ses découpages demeurent sous la forme de photographies ou de films. La création de Conical Intersect est ainsi documentée dans un film d'une vingtaine de minutes en 16 mm, conservé dans la collection du Musée national d'art moderne. On y assiste aux dernières minutes de l'îlot du 27-29 rue Beaubourg, qui s'écroule sous les assauts répétés d'une pelle de démolition (aujourd'hui, le quartier est devenu celui dit « de l'Horloge »). Trois ans à peine après sa spectaculaire intervention, Gordon Matta-Clark s'éteint d'un cancer. Il avait trente-cinq ans. ◼
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Gordon Matta-Clark, Conical Intersect (1975)
© Adagp, Paris
© Centre Pompidou