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« Intérieurs modernes, 1920-1930 », l’aventure du design moderne en France

Charlotte Perriand, Robert Mallet-Stevens, Le Corbusier, Eileen Gray : ils ont tous participé à l'invention de la modernité en France dans les années 1920-1930. Présentée à Toulon dans le cadre du sixième festival Design Parade, l'exposition « Intérieurs modernes, 1920-1930 » raconte, grâce aux chefs-d’œuvre de la collection de design moderne du Centre Pompidou, cette révolution de l'intérieur domestique. Présentation par Marie-Ange Brayer, commissaire de l'exposition.

± 7 min

Au début du 20e siècle, les salons présentent sous forme d’« ensembles » les objets de mobilier dans une scénographie de l’intérieur où tout se répond : objets de mobilier, objets d’art, objets décoratifs, tapis, tissus, couleur, lumière, etc. Le métier même d’« ensemblier » recouvre tout à la fois l’artiste, le décorateur et l’architecte. Le mouvement moderne, qui accompagne les processus de rationalisation et d’industrialisation du design, aboutit dans les années 1920 à la crise de l’« artiste-décorateur », conduisant, en 1929, à la création de l’UAM (Union des artistes modernes), qui réunit tous les grands noms de la modernité : Robert Mallet-Stevens, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Sonia Delaunay, Pierre Chareau, Eileen Gray, etc., unis par un même syncrétisme, prônant le dialogue entre les arts, les arts décoratifs et l’architecture. La transformation de l’espace intérieur trouvera dans le cinéma un dispositif d’exposition et un outil de communication privilégié de ces changements de paradigme dans la perception de l’intérieur.

À la fin des années 1920, l’intérieur se rationalise, se désencombre. Le décor fait place à une conception globale, celle de l’équipement moderne, qui se substitue à l’ornementation des salons décorés de « bibelots ». Charlotte Perriand réalise ses premiers équipements, où les objets s’intègrent à l’architecture, appelant à libérer l’espace, tandis que Le Corbusier exhorte à « désencombrer » l’intérieur avec ses « meubles-casiers ».

 

Le rapport du corps à l’espace se transforme ; le corps est à présent dynamique et sa déambulation modifie l’ergonomie des objets. Le Corbusier parle d’« objets-membres », telles des extensions prothétiques du corps.

 

En 1929, Le Corbusier et Charlotte Perriand présentent leur « équipement d’habitation » au Salon d’automne. Les murs se transforment en meubles ; les meubles coulissent, deviennent modulaires et adaptables. L’esthétique des paquebots et des machines nourrit alors une nouvelle grammaire de formes épurées, avec de nouveaux matériaux, tels que l’acier tubulaire, dans le sillage du Bauhaus. Tissus et revêtements laissent visible la structure des objets. Le rapport du corps à l’espace se transforme ; le corps est à présent dynamique et sa déambulation modifie l’ergonomie des objets. Le Corbusier parle d’« objets-membres », telles des extensions prothétiques du corps.

 

Pour lui, l’Esprit nouveau passe par le « renouveau de l’espace intérieur » et de « nouvelles manières de s’asseoir ». Les objets de mobilier deviennent des dispositifs amovibles, tels que ceux produits par Charlotte Perriand, Pierre Chareau ou Eileen Gray. S’adaptant aux usages du corps en mouvement, ils sont mobiles, comme les chariots roulants d’Eileen Gray. Le cinéma, la mode, l’architecture des nouvelles villas sont le témoignage de cette modernité qui va de pair avec des architectures en béton, ouvertes sur l’extérieur. La modernité est air, lumière, mouvement. Dans les années 1920, la villa Noailles, construite par l’architecte Robert Mallet-Stevens à Hyères, fait l’éloge de la dynamique des corps à travers le sport et l’hygiénisme.

 

Le cinéma, la mode, l’architecture des nouvelles villas sont le témoignage de cette modernité qui va de pair avec des architectures en béton, ouvertes sur l’extérieur. La modernité est air, lumière, mouvement.

 

La villa E1027 d’Eileen Gray (1926-1929), à Roquebrune-Cap-Martin, arbore une esthétique de paquebot, s’ouvrant tout entière sur la lumière et la mer. La notion d’intériorité fait place à des intérieurs qui se prolongent à l’extérieur, dans la nature, à travers de grandes baies vitrées, des toits-terrasses ou des terrasses-jardins. L’architecture s’est muée en « enveloppe » où intérieur et extérieur se trouvent dans une même continuité spatiale. La « machine à habiter » corbuséenne se nourrit de l’extérieur : la nature est devenue la modernité elle-même.

Dans les intérieurs, convergent tous les enjeux du modernisme et de sa dialectique entre machinique et organique. Cette exposition, dans une scénographie de Joachim Jirou-Najou, explore ainsi de nombreuses facettes de l’intérieur moderne en France dans les années 1920-1930 : son héritage des arts décoratifs, son articulation aux avant-gardes, sa dimension syncrétique, impliquant toutes les dimensions de la création ; l’esthétique de la machine et les métaphores de la modernité, telles que le paquebot ; la nouvelle notion de confort, ainsi que le rôle de la lumière et de la couleur dans les intérieurs sous l’influence du néoplasticisme hollandais. ◼

* Texte extrait du catalogue de l'exposition « Intérieurs modernes, 1920-1930 », Éditions du Centre Pompidou / Association Villa Noailles

* Commissaires associées Julia Balduini et Céline Saraiva