Nu dans la nature
[1944]

Nu dans la nature
[1944]
Chez Lam, l'absence de profondeur, la saturation visuelle et les sources mythiques annoncent l'expressionnisme abstrait américain.
Partageant avec les surréalistes un même intérêt pour les mythes primitifs et l'exploration de l'inconscient, Wifredo Lam multiplie les études pour sa monumentale Jungle (1943, Museum of Modern Art, New York). Dans celle-ci, le format tout en hauteur traduit l'énergie et l'élan vital tandis que les couleurs terreuses rythmées de percées lumineuses ainsi que l'ambiance vaporeuse due au sfumato concourent, plus encore que dans l'œuvre finale, à manifester la présence magique de la nature.
Domaine | Peinture |
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Technique | Huile sur papier marouflé sur toile |
Dimensions | 180 x 120 cm |
Acquisition | Dation, 1985 |
N° d'inventaire | AM 1985-98 |
Informations détaillées
Artiste |
Wifredo Lam (Wifredo Oscar Lam y Castilla, dit)
(1902, Cuba - 1982, France) |
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Titre principal | Nu dans la nature |
Titre attribué | Nu dans la forêt |
Date de création | [1944] |
Domaine | Peinture |
Technique | Huile sur papier marouflé sur toile |
Dimensions | 180 x 120 cm |
Inscriptions | S.D.B.DR. : Wi Lam / 1944 |
Acquisition | Dation, 1985 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1985-98 |
Analyse
Après avoir participé, à Marseille, aux productions collectives des surréalistes à la villa Air-Bel à la fin de l’année 1940, et dessiné les six planches pour Fata Morgana d’André Breton en janvier 1941, Wifredo Lam quitte la France le 24 mars 1941 avec sa compagne Helena Holzer, André Breton, Claude Lévi-Strauss, Victor Serge… pour la Martinique, bientôt rejoints à Fort-de-France par André Masson. En ces temps de désastre, ils continuent d’élaborer de nouveaux mythes : l’heure est à la nécessaire médiation de forces vives, au combat pour les cultures et populations autres et opprimées, comme le propose Breton avec Martinique, charmeuse de serpents , illustré par Masson, et Le Dialogue créole écrit avec ce dernier. Tous sont fascinés par Aimé Césaire, le poète chantre de la négritude depuis Cahier d’un retour au pays natal (1939), qui vient de fonder la revue Tropiques . L’impulsion est décisive pour Lam, qui regagne Cuba, son pays natal, en août 1941, après quelque vingt ans d’absence. À La Havane, il est bouleversé par le « saccage » culturel (« tout le drame colonial de ma jeunesse revivait en moi ») et entend retrouver la force originelle de la culture afro-cubaine primitive. Ses compositions, jusque-là inspirées du cubisme de Picasso et de la sculpture africaine, s’en ressentent aussitôt : s’y mêlent des réminiscences de l’enfance, les échos d’une réalité politique violente et, surtout, la présence magique de la nature. Sa production connaît alors un bond spectaculaire : en 1942, Lam envoie à New York un ensemble d’une trentaine de gouaches pour sa première exposition chez Pierre Matisse en 1943 (dont le catalogue est préfacé par Breton). Il opte alors pour une technique personnelle de dessin à l’huile ou à la gouache sur de grands papiers, qui ne seront que plus tard marouflés sur toile. La rencontre avec l’écrivain et ethnologue cubaine Lydia Cabrera est déterminante : redécouvrant en grande partie grâce à elle les rituels afro-cubains, Lam les intègre aussitôt à ses visions dans un processus de réappropriation de ses origines, comme une affirmation, une revendication. Il confie : « Je voulais de toutes mes forces peindre le drame de mon pays, mais en exprimant à fond l’esprit des nègres, la beauté de la plastique des Noirs. Ainsi, je serais comme un cheval de Troie d’où sortiraient des figures hallucinantes, capables de surprendre, de troubler les rêves des exploiteurs. »
Son œuvre maîtresse, la grande peinture intitulée La Jungle (1942-1943, New York, MOMA), témoigne de son ambition. Elle est préparée par de nombreuses gouaches, telle Lumière dans la forêt (1942), l’une des études les plus abouties et à laquelle se rattache encore Nu dans la nature (1944). Dans ces grands formats, l’immense nu féminin vertical fusionne avec la nature primitive : même puissance mystérieuse de la femme et de la végétation, mêmes formes sphéroïdales nervurées s’épanouissant autour de l’axe central, mêmes couleurs incandescentes de chair et de terre. La femme, dont la tête en quartier de lune renvoie à une croyance afro-cubaine (la Lune étant l’épouse du Soleil), devient source lumineuse dans la vision onirique du peintre et prélude à un monde nouveau. De 1942 à 1944, le processus de décantation formelle opéré par le peintre est significatif : l’espace pictural entier, unifié, ne semble plus investi que de gestes graphiques lancés en tous sens.
Même lorsque Lam abandonne la figure animale ou humaine et qu’il retrouve le thème classique de la nature morte, c’est un « autel » qu’il dresse, monumental et fastueux, en une offrande rituelle à l’Esprit de la forêt et au rôle fédérateur de la cérémonie. Dans Autel pour Yemaya , référence à la déesse du culte vaudou, les motifs, végétaux, floraux, dissous dans une lumière blanche, ne sont en réalité plus identifiables : ils s’animent ici en seins, là en yeux, ailleurs disparaissent. Tout est métamorphose vivante de formes hybrides incertaines, émergence magique d’un monde latent et exaltation d’une nature exubérante, secrète, qui sourd sous la lumière tropicale. À peine figuratif, l’espace de la feuille – dont le fond blanc (omniprésent comme toujours chez Lam et souvent rehaussé de craie) compose étroitement avec ce qui est devenu une grille de traces picturales répétées à l’identique – n’est plus qu’un espace mental de signes.
Le syncrétisme qu’opère cet artiste d’origine chinoise, mi-européen, mi-antillais, entre la puissance onirique et visionnaire apportée par le surréalisme et celle, nostalgique, d’une culture enfouie mais réinvestie, est fertile. Puisant ses figures et ses formes dans une primitivité retrouvée et mise au service d’une cosmogonie – qui s’apparente à celle d’ Antille de Masson, de The Moon-Woman Cuts the Circle de Pollock, de Waterfall de Gorky –, Wifredo Lam élabore, dans ces grandes feuilles gouachées davantage sans doute que dans les grandes toiles de totems masqués qui suivront, cette nouvelle relation intime entre la pensée, le corps et le geste, qui sera fondatrice du futur expressionnisme abstrait américain.
Camille Morando
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Événements
Bibliographie
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Les Maitres du Surréalisme : Explorateurs de l''inconscient : Okazaki, Okazaki Mindscape Museum / Osaka, Musée d''Art de Kintetsu / Kitakyshu, Musée municipal d''art de Kitakyushu, 1998 (cat. n° 80 reprod. coul. p.96)
Lam métis : Paris, Musée Dapper, 26 septembre 2001-20 janvier 2002.- Paris : éditions Dapper, 2001 (cat. n° 36 cit. p. 101, 107 et reprod. coul. p. 89) . N° isbn 2-906067-73-3
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Egger (Anne).- Le surréalisme : la révolution du regard.- Paris, Editions Scala, 2002 (reprod. coul. p. 38) . N° isbn 2 86656 282 8
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René Char : Paysages premiers : L''Isle-sur-la-Sorgue, Maison René Char, 6 juillet-30 septembre 2007.- Paris, Editions Hazan, 2007 (cat. n° 59 reprod. coul. p. 65) . N° isbn 978-2-7541-0230-8
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Collection art graphique : [Catalogue de] La collection du Centre Pompidou, Musée national d''art moderne - Centre de création industrielle, (Sous la dir. d''Agnès de la Beaumelle).- Paris : Editions du Centre Pompidou, 2008 (cit. et reprod. coul. p. 242-243) . N° isbn 978-2-84426-371-1
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Le Surréalisme [Exposition organisée par le Centre Pompidou à partir de sa collection] : Tokyo, The National Art Center, 9 février-9 mai 2011. - Tokyo : éd. The National Art Center/The Yomiuri Shimbun, 2011 (sous la dir. de Didier Ottinger et Yusuke Minami) (cat. n° 147 cit. p. 172-173 (notice en japonais) et reprod. coul. p. 172)
Leiris & Co : Metz, Centre Pompidou-Metz, 3 avril-14 septembre 2015 .- Paris/Metz : Gallimard/Centre Pompidou-Metz (sous la dir. d''Agnès de la Beaumelle, Marie-Laure Bernadac et Denis Hollier) (cat. n° 531 reprod. coul. p. 235) . N° isbn 978-2-35983-035-4
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Wifredo Lam : Paris, Musée national d''art moderne, Centre Pompidou, 30 septembre 2015-15 février 2016 (sous la dir. de Catherine David) (cit. et reprod. coul. p. 96) . N° isbn 978-2-84426-717-7
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The EY Exhibition: Wifredo Lam : Londres, Tate Modern, 14 septembre 2016-8 janvier 2017. - Londres : Tate Enterprises Ltd, 2016 (reprod. coul. p. 96) . N° isbn 978-1-84976-372-1
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