Coiffeuse-paravent
1926 - 1929

Coiffeuse-paravent
1926 - 1929
Domain | Objet/Design | Coiffeuse |
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Techniques | Aluminium, bois peint, miroir, liège, verre |
Dimensions | 164 x 56 x 18 cm |
Acquisition | Achat, 1992 |
Inventory no. | AM 1992-1-6 |
Detailed description
Artist |
Eileen Gray
(1878, Irlande - 1976, France) |
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Main title | Coiffeuse-paravent |
Creation date | 1926 - 1929 |
Place of production | Mobilier provenant de la villa E 1027 |
Domain | Objet/Design | Coiffeuse |
Techniques | Aluminium, bois peint, miroir, liège, verre |
Dimensions | 164 x 56 x 18 cm |
Printing | 2 exemplaires dont le second pour équiper la maison Tempe à Pailla à Castellar (France) |
Acquisition | Achat, 1992 |
Collection area | Design |
Inventory no. | AM 1992-1-6 |
Analysis
E 1027 : Du modernisme au doute Qui est l’architecte de cette maison longtemps oubliée mais aujourd’hui érigée en incontournable icône de l’architecture moderne, à l’instar de la villa Savoye de Le Corbusier ou de la villa Noailles de Robert Mallet-Stevens ? La tentative d’identification achoppe sur l’identité trouble partagée entre Jean Badovici, un architecte et un grand publiciste de l’architecture moderne au nom duquel fut acheté en 1926 le terrain de Roquebrune-Cap-Martin, et Eileen Gray, une créatrice confirmée à l’avant-garde des arts décoratifs qui, fortunée, finance l’opération. Le programme, « une maison de vacances », s’énonce comme un scénario moderniste à l’image des ensembles ou des constructions éphémères réalisés pour les expositions internationales : « La maison a été construite pour un homme aimant le travail, les sports et aimant à recevoir ses amis1. » L’achat, deux ans plus tard, du terrain de Castellar, où Eileen Gray construira Tempe a Pailla, son deuxième projet, renforce le sentiment d’une duplicité, d’un jeu de masques : jeu sur le genre (homme, femme), sur la fonction (architecte ou client) ou, plus gravement, sur celui qui garde la maîtrise du sens (l’architecte, ami des grands noms du mouvement moderne) ou l’authentique créatrice qui aura le front d’affirmer sa singularité. Le nom même, « E 1027 », telle l’inscription maritime d’un navire qui conforte le symbolisme nautique de la villa (avec sa bouée, sa hampe de drapeau, le bastingage sur lequel on peut tendre des toiles), se joue de cette confusion d’identité : E pour Eileen, puis 10 pour J (dixième lettre de l’alphabet et initiale de Jean), 2 pour le B de Badovici, et 7 pour le G de Gray. Alors que Badovici conçoit l’escalier en spirale qui ancre la maison du sol jusqu’au toit, escalier conçu comme un instrument de régulation thermique et couronné par une cage en verre s’illuminant la nuit comme un phare, c’est Eileen Gray qui affirmera une relation déterminante entre intérieur et extérieur selon laquelle « le plan ne doit pas être la conséquence accidentelle de la façade et doit vivre d’une vie complète, harmonieuse et logique2 ». C’est aussi Eileen Gray qui suivra le chantier, et qui étendra le programme jusqu’au site, véritable projet architecturé qui dépasse le simple paysagisme. L’étagement du terrain sur six murs en retenue (restanques), destiné à la culture des citronniers, autorise une découverte en séquences du contexte et permet d’établir la villa, selon une orientation suivant la course du soleil, sur quatre gradins successifs en décalage de dix degrés par rapport aux lignes parallèles des murets, donnant le sentiment d’une construction en porte-à-faux. Du parallélépipède suspendu du réservoir à l’entrée latérale sous auvent qui dessert le corps principal de la villa, ancré sur pilotis sur deux niveaux, jusqu’aux pièces situées au niveau inférieur et au vaste espace en sous-face du bâtiment qui entre en correspondance avec la terrasse du jardin, la villa chevauche quatre niveaux de terrain, presque libérée de son emprise au sol.
Évoquant le projet, Badovici définira le programme comme « minimum », comprenant une grande pièce de séjour, deux chambres principales et affirmant un fonctionnalisme hygiéniste avec deux salles de bain, des cuisines d’été et d’hiver, un projet qui répondait aux cinq points de l’architecture moderne avec ses pilotis, son toit-terrasse, le plan libre, les fenêtres en bandeau et la façade libre. Pourtant c’est Eileen Gray qui affirmera, dans « De l’éclectisme au doute », une distance critique face au rationalisme : « Il me paraît inévitable que ce système de recherche des types aboutisse à une simplification extrême et par suite à des conceptions aussi pauvres que limitées3. » La villa est ainsi assimilée à « un organisme vivant », un tout homogène construit pour l’homme, résonnant de la présence physique de ses occupants. Elle s’organise autour d’un vaste living-room et, afin de préserver l’intimité de chaque pièce, les architectes introduisent un principe qui semble organiser l’ensemble de leur logique constructive : « désaxer les murs pour éviter que les portes soient visibles4 ».
Ce désaxement semble bien s’imposer comme une méthode permettant de complexifier les volumes par un système fluide de passages et de fonctionnalités entièrement organisé autour du corps. L’épine-paravent [ill. p. 96] qui dissimule l’entrée crée une transition entre un espace de rangement, formé d’un demi-cylindre en celluloïd et de placards, et le salon, comprenant un grand coin repos, une salle d’eau placée derrière une cloison et une salle à manger, ouverte sur une terrasse aux rambardes tubulaires pouvant être fermée par des toiles. Un escalier extérieur dessert le rez-de-jardin, composé d’un espace de plein air carrelé avec un mobilier fixe semi-enterré. À l’opposé du living-room s’établit le noyau distributif interne de la maison, où une porte ouvre d’un côté l’accès à la chambre principale, aussi conçue comme une pièce d’étude avec sa coiffeuse-paravent recouverte d’aluminium cachant la salle de bain, et où, de l’autre côté, l’escalier hélicoïdal dessert la chambre d’amis comprenant une table transformable en bureau et une salle d’eau avec son miroir Satellite [ill. p. 24]. S’ajoutent, en rez-de-chaussée, une chambre pour domestique, un espace pour le jardinier, ainsi qu’un débarras. Les architectes critiqueront le formalisme du mobilier moderne, le « tube en acier [...] cher, fragile et froid », mais affirmeront néanmoins une transition avec ce « style camping » pour distinguer « deux formules de vie : la formule “camping”, qui répond à un besoin accidentel d’extériorisation, et la formule normale qui tend à fournir à l’individu un centre indépendant et isolé où il puisse développer ses puissances profondes5 ». Alors que l’ensemble des éléments de l’architecture intérieure s’augmente de dispositifs, d’articulations, de charnières, de glissières, le mobilier lui-même semble s’adapter à une multifonctionnalité chargée de complexifier l’économie de l’espace, de briser l’ordre des séparations imposé par les traditionnelles symétries. Une armoire-paravent, un dressing-douche, une table multipositions, une chaise asymétrique : E 1027 semble renverser l’ordre rigide du machinique pour asservir la technique au domaine de l’organique, multipliant les liens entre ouvert et fermé, intérieur et extérieur, individuel et collectif. Au-delà des références à la maison Schröder (1924) de Gerrit Rietveld, à la City in Space(1925) de Frederick Kiesler, le jeu sur les écrans, fenêtres, paravents, murs mobiles ou plans de couleur des murs ou des tapis n’a pas pour seule fin une extension géométrique de l’espace, l’effacement des limites ; « il ne suffit pas de construire de beaux ensembles de lignes », dira Eileen Gray, mais plutôt de créer l’enveloppe pour un espace cognitif, presque conceptuel, chargé de références narratives. Les mots au pochoir figurant sur le tableau central du salon (« Beau temps », « L’invitation au voyage ») semblent le point focal d’un vaste calligramme qui s’égrène dans toute la maison : « Entrez lentement », « Défense de rire », « Sens interdit », « Chapeaux », « Oreillers », « Pyjamas », etc. Les mots semblent prescrire alors qu’ils libèrent l’imagination ; ainsi qu’Eileen Gray le suggère dans la préface au volume publié par Jean Badovici sur la maison : « Les formules ne sont rien : la vie est tout6. »
Frédéric Migayrou
Notes :
1. Eileen Gray et Jean Badovici, « Description », E 1027. Maison en bord de mer, numéro spécial de L’Architecture vivante, Paris, Éd. Albert Morancé, 1929 ; rééd. : Marseille, Éd. Imbernon, 2006, p. 16.
2. Ibid. , p. 13.
3. E. Gray et J. Badovici, « De l’éclectisme au doute », E 1027. Maison en bord de mer, op. cit., p. 8. 5. Ibid., p. 13.
6. E. Gray et J. Badovici, « De l’éclectisme au doute », art. cité, p. 7.
Source :
Extrait du catalogue Eileen Gray, sous la direction de Cloé Pitiot, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2013
Events
Bibliography
Voir la notice sur le portail de la Bibliothèque Kandinsky
FRENCH MODERN SOURCES : U.A.M. (Union of Modern Artists) : masterpieces of design in the Centre Pompidou collection : Design Miami-Collins Building, Miami, dec. 7-10, 2006 / an exhibition organized by the Georges Pompidou Art [and] Culture Foundation. - Los Angeles, Calil. : Georges Pompidou Art and Culture Foundation, 2006. - 23 p. : ill. en noir et en coul. ; 46 cm. - Biogr. (Reprod. en coul. p.17)