Nature morte au magnolia
décembre 1941

Nature morte au magnolia
décembre 1941
Domaine | Peinture |
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Technique | Huile sur toile |
Dimensions | 74 x 101 x 2,4 cm |
Acquisition | Achat, 1945 |
N° d'inventaire | AM 2588 P |
Informations détaillées
Artiste |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Titre principal | Nature morte au magnolia |
Ancien titre | Nature morte à la cafetière; Nature morte au coquillage; Coquillage avec chaudron et fond rouge; Nature morte rouge au magnolia; Nature morte rouge au chaudron |
Titre attribué | Nature morte à la cafetière ; Nature morte au coquillage ; Coquillage avec chaudron et fond rouge ; Nature morte rouge au magnolia ; Nature morte rouge au chaudron |
Date de création | décembre 1941 |
Lieu de réalisation | Peint à Nice du 25 août au 21 octobre 1941 |
Domaine | Peinture |
Technique | Huile sur toile |
Dimensions | 74 x 101 x 2,4 cm |
Inscriptions | S.D.B.DR. : Henri Matisse / 12/41 |
Acquisition | Achat, 1945 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Moderne |
N° d'inventaire | AM 2588 P |
Analyse
L’exécution proprement dite de Nature morte au magnolia (du 25 août au 21 octobre 1941) est précédée et accompagnée par un nombre particulièrement important d’études dessinées : 68 dessins préparatoires, prêtés par l’artiste, figuraient dans l’exposition de la Tate Gallery en 1953, en plus de la série G de Thèmes et Variations (publiée en 1943), et d’autres compositions isolées comme Nature morte, fruits et potiche (1941), dessin acheté par l’État en 1942 pour le Musée (AM 1514 D).
Matisse s’est attardé dans ces feuilles sur chacun des éléments de sa nature morte pour les analyser, s’en approprier tous les détails : les enroulements du grand coquillage, les cannelures du pichet d’étain, les attaches du chaudron de cuivre, la fleur de magnolia au milieu du buisson de ses feuilles. Il a par ailleurs fait photographier certains états de la composition : quatre étaient exposés avec le tableau achevé à la galerie Maeght en décembre 1945, cinq figurent dans le film réalisé par François Campaux en 1945-1946. On peut ainsi constater comment la toile s’organise petit à petit, comment chacun des éléments s’immobilise frontalement autour de la fleur de magnolia, auréolée par le chaudron. Au final, solennelle, presque hiératique, la composition a pu évoquer pour certains (Bernard Dorival, Bulletin des musées de France, no 2, 1946, p. 6) l’organisation des tympans romans (le Christ dans une mandorle, entouré des quatre symboles évangéliques). Pour d’autres (Yve-Alain Bois, Paris, 1998, op. cit.), la fleur et ses feuilles en étoile hérissée ressemblent à la tête de Méduse, pétrifiant qui la regarde.
Le fond, tour à tour partagé en zones rectangulaires ou diagonales, laissant apparaître la surface de la table de marbre, support de la nature morte, est finalement unifié par un rouge embrasé. N’ayant plus de repères perspectifs, les objets flottent frontalement, pris dans cette couleur dense et légère à la fois.
Un croquis, annoté et légendé par Matisse à l’intention du chromiste de Verve, publié en 1945 (vol. IV, no 13, p. 36), fournit les indications les plus précises sur les dessous de la couleur : Matisse y indique tous les pigments qu’il a réellement utilisés, leurs combinaisons et leurs dénominations techniques. On apprend ainsi, par exemple, que le fond du tableau est peint en rouge cadmium clair, et que la teinte plus orangée du chaudron est obtenue par un passage cadmium jaune moyen sur frottis de laque écarlate. On apprend surtout que Matisse, dans cette quantité de rouges, a préservé l’éclat blanc de la fleur de magnolia … en utilisant « un blanc légèrement teinté bleu ».
« Quelle est votre œuvre préférée au Salon ? », demandait en 1945 l’interviewer de Matisse dans le film réalisé par François Campaux. « Au Salon… la nature morte rouge, celle que j’ai appelé Nature morte au magnolia… Depuis plusieurs années, c’est mon tableau préféré… je pense avoir donné le maximum de ma puissance… », répondit Matisse.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007
Analyse
Comme pour d'autres œuvres exécutées en 1940-1941, des dessins, documents et témoignages viennent éclairer la (longue) genèse (septembre-décembre 1941) de cette importante nature morte. En premier lieu, de très nombreuses études dessinées en rapport avec les différents éléments du thème (études pour la fleur seule, ou pour le coquillage) ou bien les combinant : soixante- huit études pour Nature morte au magnolia étaient exposées à Londres en 1953 (prêtées par l'artiste, sous le n° 57 du catalogue). Pour rester dans le domaine du dessin, Nature morte, fruits et potiche, ainsi que la série G de Thèmes et variations1 et d'autres dessins apparentés sont évidemment dans un rapport étroit avec le travail en cours sur Nature morte au magnolia. Le nombre important de ces études ne saurait surprendre : Matisse ne parle-t-il pas de trois mille dessins2 pour L'Enlèvement d'Europe (1929) et nul doute que la publication d'un dossier complet des études pour ou autour d'un tableau de Henri Matisse, si elle était possible, révélerait l'importance de ces regards préalables, multiples, de ce travail fourmillant suscité par l'engendrement du tableau.
Ensuite, Matisse, selon son habitude, a fait photographier au moins cinq états différents de l'œuvre en cours. Trois de ces photographies ont été montrées dans l'exposition didactique organisée en 1945 par la galerie Maeght, reprises (avec deux autres) dans le film de Campaux (1945-1946), puis exposées à partir de 1953 à Londres et dans d'autres villes d'Europe. Nous reproduisons ici quatre états. On peut ainsi constater comment la toile s'organise petit à petit, comment chacun des éléments s'immobilise frontalement autour de la fleur de magnolia, auréolée par le chaudron de cuivre sur lequel elle se détache : la composition définitive évoque, par son hiératisme, l'organisation de certains tympans romans (Le Christ dans une mandorle, entouré des quatre symboles évangéliques). Des éléments jugés en définitive non nécessaires disparaissent. On voit se modifier les formes, toujours dans le sens d'une plus grande clarté d'expression : ainsi le petit pot placé en haut à droite; au départ ce motif répétait à peu près l'épanouissement en étoile de la fleur de magnolia au milieu de ses feuilles. Henri Matisse a simplifié cette forme, en accentuant la différence, en arrondissant les feuilles, jusqu'à ce qu'elle devienne clairement une autre entité formelle, un autre « signe », aussi distinct du magnolia, malgré leur commune nature végétale, que le pot d'étain ou le coquillage. On voit enfin le fond, tour à tour partagé en zones rectangulaires ou diagnonales, s'apaiser, s'unifier par le rouge.
Enfin, un croquis, annoté et légendé par Matisse à l'intention du chromiste de Verve, publié en 19453, fournit une troisième source d'informations essentielles puisqu'il s'agit de la couleur. Nous reproduisons ci-dessous la transcription de ces indications :
(vase gauche) vert émeraude, dessins noirs, fleurons blanc et bleu d'outremer mélangés .
(pot d'étain) violet cobalt clair, dessin bleu outremer et noir
(chaudron) (attache gauche) vert émeraude pour / sur le rouge. Rouge Venise bordé noir; (anse gauche) rouge de Venise bordé noir; (anse droite) ocre jaune et blanc; (fond) le fond du chaudron cadmium jaune moyen, une fois sur frottis de laque écarlate
(magnolia) (fleur) blanc teinté légèrement bleu4; (feuilles) vert émeraude, lumières jaune citron, ombrées noir
petit pot : feuilles et pot et assiette bleu d'outremer sertis noir, un peu de vert émeraude sort un peu de partout,
(coquillage) ocre jaune et blanc, pois noir pur, les lignes en bordure noir qui couvre le rouge du fond5
(fond) rouge cadminum clair
Un texte d'André Rouveyre, particulièrement proche de Matisse dans cet hiver 1940-1941, accompagnait dans le numéro de Verve les reproductions des tableaux et des croquis. Nous en extrayons le passage qui concerne Nature morte au magnolia: « Ainsije retrouve avec bonheur cette toile où un chaudron de cuivre à cuire les confitures et un fond total se confondent, et pourtant se séparent, en deux rouges d'une étrange ardeur dans la dissociation comme dans le mélange que leur donne une subtilité de rapport infernale pour proposer, en plein centre du tableau, un bouquet de feuilles vertes en un vase radieux de simplicité, sous la présence encore de l'un de ces grands coquillages où l'on dit que l'on entend le bruit de la mer, de deux autres vases, et d'une belle piche d'étain, celle-là même que l'on retrouve de loin en loin chez Matisse, toujours familière et toujours caressée. Je ne puis omettre de noter quelle plénitude grandiose et intime, et d'un art suprême c'est ici le fait. Tout un hiver le peintre a lutté pour arriver à se contenter selon cet accomplissement définitif que voici. Cette toile je l'ai vue, certain jour, au cours du travail, au quart ruinée, effondrée par ce que le peintre dénonçait comme une méprise. Puis il a réussi à ressaisir sa création en fusion, à fixer enfin ces rapports savants et ravissants, cette ordonnance impériale et intime, où il faut bien reconnaître le charme, l'audace, l'autorité, l'équilibre séduisants et forts que l'on prête, à ce point d'excellence, seulement à Belzébuth. »6
« Quelle est votre œuvre préférée au Salon ? » demandait en 1945-1946 l'interviewer de Matisse dans le film réalisé par François Campaux. « Au Salon... la nature morte rouge, celle que j'ai appelée Nature morte au magnolia... Depuis plusieurs années, c'est mon tableau préféré... Je pense avoir donné le maximum de ma puissance...» répondit Matisse.
Isabelle Monod-Fontaine
Notes :
1. Henri Matisse, Dessins. Thèmes et variations, Paris, Martin Fabiani éditeur, 1943.
2. Cf. la déclaration de Matisse à Georges Michel (Michel Georges-Michel, De Renoir à Picasso, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1954) : « Pour ce seul tableau, j'ai déjà crayonné trois mille croquis... oui, trois mille...».
3. Verve, vol. IV, n° 13, Tériade éd., 1945, p. 36.
4. Cf. les « Propos sur la couleur » de Matisse, publié dans le catalogue de l'exposition Henri Matisse, aquarelles, dessins, Paris, galerie Jacques Dubourg, 1962 : « L'influence des couleurs est tout à fait essentielle pour le coloriste et les teintes les plus belles, les plus fixes, les plus immatérielles, s'obtiennent sans qu'elles soient matériellement exprimées. Exemple : le blanc pur devient lilas, rose ibis, vert Véronèse ou bleu angélique par le voisinage de ses contraires seulement. » Inversement ici, par rapport à la dominante rouge, le blanc n'apparaît blanc que parce qu'il est teinté de bleu.
5. Cf. les remarques de Matisse à Finn Hoffmann, « Chez Henri Matisse », Buen, n° 2, décembre 1924, publiées par Dominique Fourcade, « Autres propos de Henri Matisse », Macula, n° 1, 1977, p. 98: «... Plus tard, j'ai découvert l'effet merveilleux de la couleur noire, relevée par le moyen d'une autre couleur peinte dessous. »
6. André Rouveyre, « Henri Matisse », inVerve, vol. IV, n° 13, Tériade éd., 1945, pp. 35-55.
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989