Liseuse sur fond noir
août 1939

Liseuse sur fond noir
août 1939
Domain | Peinture |
---|---|
Techniques | Huile sur toile |
Dimensions | 92 x 73,5 x 2,4 cm |
Acquisition | Achat, 1945 |
Inventory no. | AM 2589 P |
Detailed description
Artist |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
---|---|
Main title | Liseuse sur fond noir |
Former title | Le Tableau noir, scabieuses et marguerites sur la table rose; Liseuse, fleurs sur table rose, fond noir; Liseuse, intérieur rouge, rose et noir |
Creation date | août 1939 |
Place of production | Oeuvre peinte à Paris |
Domain | Peinture |
Techniques | Huile sur toile |
Dimensions | 92 x 73,5 x 2,4 cm |
Inscriptions | S.D.B.DR. : Henri Matisse 39 |
Acquisition | Achat, 1945 |
Collection area | Arts Plastiques - Moderne |
Inventory no. | AM 2589 P |
Analysis
Nous disposons en ce qui concerne cette œuvre, de documents exceptionnels; deux photographies de Brassaï1 prises dans l'atelier de la villa des Plantes prêté par Mary Callery à Matisse pendant l'été 1939 et montrant le motif du tableau — le modèle assis, le miroir, le bouquet de marguerites et de scabieuses2, les deux feuillets sur la table. L'une des photographies, où l'artiste apparaît devant le chevalet où se trouve le tableau en train de se faire, a été publiée dans Labyrinthe3, en même temps qu'une autre photographie de Brassaï montrant Matisse en train de dessiner le même modèle, nu, soit le sujet du grand fusain fixé au mur à côté du miroir de la Liseuse sur fond noir. Sur le document que nous reproduisons (publié dans Cahiers d'Art4), Matisse n'apparaît plus. En revanche, le cadrage est plus conforme à celui du tableau, et l'on y distingue à gauche le tabouret et la potiche reflétée dans le miroir. La juxtaposition de ces documents photographiques et de l'œuvre finie suggère un jeu complexe de reflets, de répétitions et de renvois. Comme dans Le Peintre dans son atelier, on assiste à la confrontation de l'univers « réel » et de l'espace peint. C'est une occasion unique sans doute de saisir la capacité de synthèse de Matisse, son pouvoir d'invention et d'homogénéisation d'un espace, dans la réalité morcelé et diffus. Cet espace du tableau, tel qu'on peut l'analyser, est bâti sur une structure strictement bidimensionnelle, combinaison de rectangles horizontaux et verticaux, animée par les courbes du bouquet et de la femme, virtuellement assimilés l'un à l'autre par le même traitement formel. Les seules formes suggérant une profondeur sont les deux feuillets-losanges posés sur la table. Mais l'élément le plus important de l'œuvre est le fond noir inventé par Matisse. Il y aurait beaucoup à dire sur le rôle privilégié du noir dans la peinture de Matisse, et un petit répertoire à constituer5 de ses remarques à ce sujet.
Certains de ces propos, un peu postérieurs à Liseuse sur fond noir, ont été publiés à l'occasion de l'exposition Le Noir est une couleui6 organisée par la galerie Maeght en décembre 1946: « L'emploi du noir comme couleur, au même titre que les autres couleurs : jaune, bleu ou rouge, n'est pas chose nouvelle. Les Orientaux se sont servis du noir comme couleur, notamment les Japonais dans les estampes. Plus près de nous, d'un certain tableau de Manet il me revient que le veston de velours noir du jeune homme au chapeau de paille est d'un noir franc et de lumière. Dans le portrait de Zacharie Astruc par Manet, nouveau veston de velours exprimé aussi par un noir franc et lumineux. Mon panneau des Marocains ne porte-t-il pas un grand noir aussi lumière que les autres couleurs du tableau ? » Et aussi : « Comme toute évolution, celle du noir en peinture s'est faite par à-coups. Mais depuis les impressionnistes, il semble qu'il s'agisse d'un progrès continu, d'une part de plus en plus grande prise à l'orchestration colorée, comparable à celle de la contrebasse dont on est arrivé à faire des soli. »
Cette notion du noir lumière précise le rôle essentiel du fond noir dans ce tableau, comme dans d'autres œuvres de Matisse. Il ne s'agit pas d'un noir opaque, fermant comme un rideau l'espace du tableau, mais au contraire, d'un noir générateur de lumière et de profondeur. Quant à la référence à Manet, il y est fait allusion aussi dans Liseuse sur fond noir par un accord noir/rose.
Deux tableaux proches de Liseuse sur fond noir, intitulés Marguerites et scabieuses (août 1939) et Fleurs et figures, pot arabe (mi-juillet 1939) sont reproduits dans « Lydia Delectorskaya ... L'Apparente facilité..., Henri Matisse (peintures de 1935-1939), Paris, Adrien Maeght éd., 1986 », pp. 321 et 319.
Isabelle Monod-Fontaine
Notes :
1. Selon Madame Delectorskaya (communication orale, mars 1976), c'est Brassaï qui avait présenté à Matisse ce modèle hongrois.
2. Ou plus exactement, selon la description de Matisse lui-même (cf. Lydia Delectorskaya ... L'Apparente facilité..., Henri Matisse (peintures de 1935-1939), Paris, Adrien Maeght éd., 1986, p. 320) : « Gros bouquet de reines marguerites, au milieu desquelles de grosses fleurs de scabieuses violettes et quelques branches de feuillages (...). »
3. Labyrinthe, n° 8, 15 mai 1945, p. 7.
4. Cahiers d'Art, n° 3-4, 1940, p. 68. Photographie de Brassaï, publiée avec la légende: « Cette photographie nous laisse voir le point de départ d'une œuvre de Matisse et ses transformations en cours d'exécution. »
5. Répertoire déjà constitué en partie par Dominique Fourcade, sous la rubrique « noir » de l'index des idées et des thèmes, établi par lui à la suite de son édition des Écrits et propos sur l'art de Henri Matisse, 1972.
6. Derrière le miroir, n° 1, décembre 1946.
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989